L’improbable union

Désir d'histoires

Désir d’histoires no 75 et ses mots imposés :

idole – cocon – interminable – inavoué – permis (n.m.) – machine – chemise – voilure/voile – zinc – dogmatique – poursuite – foie – autorisation – écrire – souvenir – cyanure – palétuvier

Les autres textes, ICI.

Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Les épisodes précédents sont réunis dans une seule et même page, ici, Work in progress (Écriture en cours).

Tout en réactivant ses ingénieux montages financiers, Nathan remonte sa propre pendule et semble avoir trouvé du ressort durant cette courte nouvelle réflexion….

Ses yeux torves semblaient rouler dans leur orbite, ils ne quittaient pas un instant la petite clé USB que je faisais tourner entre deux doigts. Attablé, il semblait hésiter entre la passivité et l’action. Il ne lui aurait pas été compliqué de me faire déposséder. Mon rapide exposé avait été clair, tout le mécanisme d’identification, de localisation et de décryptage se trouvait là, tournoyant inlassablement entre mon pouce et mon index. Ayant dès lors toute son attention, la suite de mon propos avait été une formalité. Il comprit tout de suite ma démarche et ne sembla pas le moins du monde surpris par ma requête, juste agacé…, oui, c’est ça, profondément agacé. Il continua à mâchouiller encore quelques temps son morceau de foie bien trop cuit tout en maugréant deux trois insultes inaudibles à l’intention du cuisinier. Je patientai, face à lui, ne touchant pas à mon assiette. Le moment me parut interminable. Son tonitruant et pesant accent avait complètement disparu. Le temps n’était plus au spectacle. Pourtant, je l’imaginai en monsieur Loyal, bedonnant, au centre d’une piste de cirque, idole dogmatique d’une dizaine de hauts fonctionnaires et dignitaires accroupis sur de hauts promontoires métalliques, jappant de plaisir à son attention. Il les tenait en respect avec son fouet, chacun de ses gestes provoquant un mouvement collégial de têtes de ses « bestioles » dressées. La scène me fit sourire. Je tentai d’effacer rapidement cette pensée inavouable et inavouée, mais ma soudaine bonne humeur n’échappa pas au gros, éveillant de nouveau sa méfiance. Il prit encore un peu de temps, s’essuya consciencieusement les babines graisseuses et enfin satisfait, reposa sa serviette. C’est ce moment-là que je choisis pour, en un mouvement rapide, placer la clé USB sous le pied massif de ma chaise. Je me rassis lourdement sans laisser le temps à l’assistance d’esquisser le moindre mouvement. Le bruit caractéristique d’une cassure nette et irrémédiable se fit entendre. Il hoqueta de surprise s’agrippant nerveusement à la nappe. Je ne lui laissai pas le temps de refermer le O que formait sa bouche.

« – Je vous le répète une dernière fois : amenez-moi à ses côtés. Je veux lui parler. Je veux m’assurer qu’elle va pour le mieux. Je ne vous demande pas une faveur ou même une autorisation. Ceci est bel et bien un ultimatum : aucun doute ne vous est permis, je peux à tout moment détruire ce que vous chérissez tant. Si d’ici la fin de la journée, je ne me suis pas reconnecté alors c’est cette belle machine que vous vous évertuez à me reprendre qui se brisera. »

Du bout du pied, je repoussai négligemment les débris. Rubicond, le belge parvint enfin à refermer sa grande bouche. Menaçant, il se pencha en avant, heurtant violemment la table avec son gros ventre :

« – Vous vous méprenez d’ennemi ! Comment osez-vous nous menacer ? Êtes-vous inconscient ? » martela t-il. « Nous ne sommes point les instigateurs de toutes vos récentes mésaventures. Nous n’avons fait que réagir à la situation dangereuse qui se présenter à vous. Notre engagement dans cette invraisemblable poursuite et votre sauvetage devraient vous assurer que vous êtes dans le bon camp. Cette négresse sauvageonne en voulait sinon à votre peau au moins à votre (« notre » devrais-je dire) portefeuille. Avec cette femme, c’est le contenu d’une fiole de cyanure que vous risquez de retrouver dans votre verre de vin ! »

Essouflé, il reprit profondément sa respiration et observa rapidement ses hommes de main. Ceux-ci restaient impassibles, attentifs à nos échanges. Puis, grognon, il bougonna :

« – Mais à quoi bon prévenir le bateau qui dérive, si celui-ci se détourne du port à la faveur du chant de la mortelle sirène… Si c’est cela que vous désirez, allez la rejoindre mais ne tardez pas trop. Je finis d’écrire mon rapport sur la situation et une fois transmis, nous reprendrons cette conversation… »

… À ses pieds, traîne la robe zébrée maculée de sang qu’elle portait lors de l’incident(*). À peine couverte d’une chemise bien trop grande pour elle, Rocio relève péniblement la tête. La petite tablette évidée, à ses côtés, ne me laisse aucun doute, elle a été gavée de médicaments. Le seul connecteur encore actif avec la réalité la retenant de  l’inconscience est la douleur qui irradie désormais jusque le haut de son épaule. Son visage est recouvert d’un triste voile ternissant l’éclat de sa peau. Je m’assis au bout du petit lit en zinc. Une sensation formidable de douceur m’envahit alors que me revient le souvenir de cette étourdissante nuit où elle vint me rejoindre en fond de cale. Il y a quelques jours à peine, c’est elle qui m’abordait, dans l’obscurité, à peine éclairés que nous étions par la pâle pleine lune (**). Tantôt amante, tantôt geôlière impitoyable, elle m’avait enveloppé dans un cocon de bouillant désir et d’ébats passionnés. Je voudrais la rassurer, lui dire que tout est bientôt fini mais je demeure silencieux. Je l’admire, interdit devant tant de grâce et de beauté. Bien qu’assiégés par la souffrance, les traits de son visage sont d’une finesse remarquable, irréelle. Les courbes de son corps avantageusement dévoilées par sa tenue de fortune prolonge le ravissement de ma contemplation. Mon cœur est trop plein, quelle sensation étrange. Je déborde de ce sentiment jusqu’alors inconnu, il me brûle, il s’empare de mon être et je le laisse m’entraîner dans ces nouvelles contrées intenses. De cette jungle inextricable toujours inexplorée, les racines les plus profondes de ma personne effleurent la surface et émergent. Tel un incroyable palétuvier, je révéle mes plus intimes attachements. Je me livre à elle, je me sens nu, transparent, sans pouvoir m’y soustraire. Je la respire, je partage sa détresse pour l’avoir moi-même vécu il n’y a pas si longtemps. Elle se redresse encore un peu, me regarde. Je la dévore tout autant d’attentions que d’intentions. Je vois dans ses yeux le reflet parfait des sentiments que je ressens pour elle. La contagion émotionnelle nous gagne, nous baigne, intense, magique et curatrice. La belle noire se soulève légèrement comme étreinte par ce serrement qui moi même me fait suffoquer, nos lueurs se rejoignent, s’unissent. C’est la rencontre improbable de la lune et du soleil, c’est la fusion de nos différences, c’est le mélange du yin et du yang qui dans une insensée ronde s’unissent pour ne plus être qu’une seule couleur, celle de notre fièvre commune.

Nos têtes tournent et se rapprochent, attirées. Je tends la main, elle y pose délicatement sa face. Elle expire doucement et longuement, peut-être rassurée ou soulagée, nos souffles se mêlent :

« Sauve-moi Nathan, ici et maintenant, … sauve-moi ! »

Coincoins (ré)unis !

 

(*) voir épisode « Un doigt de sincérité »

(**) voir épisode « Nocturne tête à tête »

 

 

 

 

 La suite, ici : Double urgence

Ce texte n’est pas libre de droits.

:-)

 

Les jardiniers de l’arbre de mon quartier

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Désir d’histoires de cette semaine (no 59) et ses 26 mots :

douleur – narcisse – irénisme – lilas – choix – fiançailles – mensonge(s) – forme – retour – diamant – photophore – tambourinage – branche – reflet – prisme – réitéré(e)(s) – espérance – papillon – souvent – purgatoire – désirable – série – folie – argentier – controverse – peine

Les autres textes ici !

 

 Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

 

 

Sans mensonge ni dispute, sans tambourinage ni esclandre futile, ce fut une histoire d’amour sans douleur ni peine inutile, sans chichi ni ornement froid de diamants. Le reflet de leur relation était à l’image exacte de leur relation : modeste et authentique.

Lili et Léon, « petits » vieux attendrissants aux regards délavés comme seul le temps sait le faire, étaient devenus au fil du temps les « grands-parents » de tous les habitants de notre quartier. Ils avaient consacrés toute leur énergie de fin de vie à essayer de rapprocher les gens. Mieux que personne, ils avaient su insuffler l’espérance là où le purgatoire semblait la destination inévitable. On se plaisait à dire d’eux qu’ils auraient été capables de réconcilier « Narcisse et Echo » (*) tant ils faisaient preuve d’un irénisme sans limite. La moindre controverse trouvait apaisement et raison éloignant les coups de folie vers d’autres rivages. Leurs détachements des biens matériels en faisaient des argentiers voués à la faillite et ils prêtaient parfois au delà de leurs moyens mais là n’étaient point leurs tourments. Ensemble, ils semblaient intouchables malgré les tempêtes sociales réitérées qui pouvaient s’abattre sur nos petites ruelles. Selon eux, ce sont les branches d’un arbre qui le rendent fort et résistant, et non pas simplement la robustesse de son tronc. Chacun d’entre nous était ces branches, nos bois et feuillages étaient entretenus par ce merveilleux couple de jardiniers de la vie.

Malheureusement, « le temps passe et la mort vient ». Ce soir, chaque fenêtre, chaque pas de porte, chaque bord de cheminée accueille petites bougies ou photophores animés de leur flamme hésitante. Ces petites lumières illuminent tous nos endroits comme Lili et Léon avaient éclairé jusqu’à alors le quotidien de chacun : discrètement, tendrement, doucement. Le pire était arrivé. Quelques heures à peine avaient suffi à remarquer l’absence du couple qui semblait jusqu’alors éternel. On avait entr’aperçu Léon déambuler toute la matinée, de son pas cassé mais décidé, entre l’arrière de la maison et son jardinet. Le visage fermé mais à peine plus creusé qu’à l’accoutumée, il allait et venait. Dehors, par gestes lents et précis, il coupait généreusement les petits arbustes de lilas tout en soignant sa cueillette qu’il rentrait à l’intérieur au fur et à mesure. Au retour, les bras chargés, il avait plusieurs fois refusé, avec son sourire habituel, l’aide amicalement proposée par son voisin. Non, vraiment, rien ou presque n’aurait pu laisser présager la suite.

Les lilas de Lili…. Ils avaient fait revivre cette fleur dans notre quotidien, ce suave symbole amoureux, bien souvent oubliée. Lili, dans son infinie patience, en avait cultivé dans la plupart des jardins aux alentours, variant les couleurs, panachant les variétés selon les personnes à qui elles les destinaient. La lumière changeante au gré des heures et des saisons délivrait alors des couleurs pastelles insoupçonnées. Ravie, surprise comme à la première fois, elle était même émue devant le spectacle de ce prisme végétal naturel. Elle se plaisait à rappeler que cette plante était empreinte de pureté et d’innocence, ne s’offrant à l’origine qu’aux femmes à la morale exemplaire. Et c’est ainsi, qu’à chaque floraison, les habitations se retrouvaient dès lors honorées.

Léon s’était affairé jusqu’en début d’après-midi, ce qui en soit était bien surprenant étant donné qu’à l’accoutumée, vers les onze heures, il rejoignait Lili aux fourneaux afin de préparer quelques mets délicieux et parfumés dont eux seuls semblaient détenir le secret. En fin de journée, le voisin, intrigué par la quiétude des lieux, était venu frapper à la petite porte de derrière laissée entrouverte. Il la repoussa doucement. Un petit grincement sinistre déchira le silence chauffé par cette belle fin de journée. Des effluves floraux inondèrent immédiatement le pas de la porte repoussant dans un premier temps le visiteur. Celui-ci pénétrant les lieux eut alors une deuxième surprise : la maison était complètement tapissée et garnie de lilas. Enivré par la violence des senteurs, le voisin tituba puis rejoint le petit couloir qui menait aux chambres. « Lili ? , Léon ? » se risqua t’il tout en laissant vagabonder son regard sur les moments de vies exposés au long de centaines de photos jalonnant le passage. Pas de réponse. Un léger halo s’échappait de la chambre des deux tourtereaux, la petite angoisse naissante dans le bas ventre s’accentua. Quelques pas plus loin, il trouva Léon qui fixait Lili, allongée sur le lit dans une de ses plus belles robes. On devinait à l’expression du vieil homme, que sa femme lui apparaissait aussi belle et désirable qu’au jour de leurs fiançailles. Coquettement apprêtée, mais sans souffle et au teint anormalement livide, elle semblait s’être assoupie. Le voisin laissa échapper un petit cri d’effroi qui brisa le charme morbide de la scène. Léon, les yeux noyés par le chagrin, tourna la tête vers lui, il semblait terrassé par la fatigue et le tourment. Comme échappées des chaines de la raison, la douleur et la détresse se glissèrent alors hors de son corps dans un long déchirement sonore mélancolique, étranglé par l’émotion insoutenable…

Quelques jours sont passés maintenant. Je ne dors pas. Il est très tard pourtant. Pris d’assaut par les larmes, assis sur le banc du petit jardinet, je regarde les petites lumières qui font danser les papillons de nuit, révélant dans l’obscurité d’improbables formes de la Vie. La longue lamentation de Léon résonne toujours à mes oreilles, désarmante et tellement poignante. Pov’ vieux, il ne s’en remettra sûrement jamais. Mes larmes me submergent à nouveau. Entre mes lèvres, les mots s’entrechoquent me faisant chevroter. « Tu me manques terriblement Lili, tes lilas fleuriront indéfiniment nos âmes et nos allées. Je te le promets grand-mère. »

 

Coincoins éternels

 

(*) L’un, fils d’un dieu, amoureux de son reflet et incapable d’ « aimer », l’autre, nymphe punie (par Héra, femme de Zeus) qui ne pouvait plus se servir de sa voix hormis pour répéter des mots qu’elle venait juste d’entendre. Éperdument amoureuse de Narcisse qui lui ne voulait d’aucun réel amour, Echo mourut de chagrin jusqu’à ce qu’il ne lui resta plus que sa voix. Par la suite, piégé par Némésis, Narcisse perdit la vie en ne sachant pas détacher le regard de son propre reflet d’une eau où il était venu se désaltérer. Se contemplant, amoureux de lui-même, il mourut en cette place où son propre sang fit pousser une bien belle fleur blanche que l’on appela Narcisse. Avec des illustrations…ici -> http://www.jesuiscultive.com/spip.php?article364

 

 

Ce texte n’est pas libre de droits.

🙂

 

 

Noyade dans l’emportement

Zidane_vs_Materazzi

« La colère est un fleuve qui ne peut se traverser sans construire un pont »

Proverbe entendu dans l’épisode 7

de la série Kaboul Kitchen

 

J’ai beaucoup de mal à accepter la (ma) colère.

Je n’aime pas la perte de contrôle dans laquelle elle conduit son sujet. Je n’aime pas la peur qu’elle peut engendrer ou réveiller chez l’un comme chez l’autre. Je n’aime pas la violence dont font souvent preuve les gens en colère. Je n’aime pas l’agression autant morale que physique. Je n’aime pas la douleur (morale mais aussi physique) qu’elle peut provoquer autant chez la victime que parfois chez le colérique.

Je n’aime pas voir les gens fâchés, sentir qu’entre eux un « pont » sera difficile à construire. Je n’aime pas voir certaines personnes quitter ce monde sans n’avoir jamais pu construire ce pont, s’être noyer dans cette colère trop longtemps entretenue. Je n’aime pas me rendre compte que ces mêmes gens ne se souviennent même plus des raisons de cette trop longue colère.

Je n’aime pas la colère. Pourtant, parfois, même si je sais que personne n’a rien à y gagner, JE me mets en colère 🙁

La « colère » interprétée par La Canaille, sur un air de tango !

Coincoins en passant

« Il était une fois un garçon avec un sale caractère

Son père lui donna un sachet de clous et lui dit d’en planter

un dans la barrière du jardin chaque fois qu’il perdrait patience

et se disputerait avec quelqu’un.

Le premier jour il en planta 37 dans la barrière.

Les semaines suivantes, il apprit à se contrôler,

et le nombre de clous plantés dans la barrière diminua jour après jour :

il avait découvert que c’était plus facile de se contrôler que de planter des clous.

Finalement arriva un jour où le garçon ne planta aucun clou

dans la barrière.

Alors il alla voir son père et lui dit que pour ce jour

il n’avait planté aucun clou.

Son père lui dit alors d’enlever un clou de la barrière pour chaque jour où il n’aurait pas

perdu patience.

Les jours passèrent et finalement le garçon put dire à son

père qu’il avait enlevé tous les clous de la barrière.

Le père

conduisit son fils devant la barrière et lui dit :

« Mon fils, tu t’es bien comporté mais regarde tous les trous

qu’il y a dans la barrière.

Elle ne sera jamais plus comme avant.

Quand tu te disputes avec quelqu’un et que tu lui dis quelque

chose de méchant, tu lui laisses une blessure comme celle-là.

Tu peux planter un couteau dans un homme et après lui retirer,

mais il restera toujours une blessure.

Peu importe combien de

fois tu t’excuseras, la blessure restera.

Une blessure verbale fait aussi mal qu’une blessure physique. »