Les jardiniers de l’arbre de mon quartier

plumedesmotsunehistoire3

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Désir d’histoires de cette semaine (no 59) et ses 26 mots :

douleur – narcisse – irénisme – lilas – choix – fiançailles – mensonge(s) – forme – retour – diamant – photophore – tambourinage – branche – reflet – prisme – réitéré(e)(s) – espérance – papillon – souvent – purgatoire – désirable – série – folie – argentier – controverse – peine

Les autres textes ici !

 

 Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

 

 

Sans mensonge ni dispute, sans tambourinage ni esclandre futile, ce fut une histoire d’amour sans douleur ni peine inutile, sans chichi ni ornement froid de diamants. Le reflet de leur relation était à l’image exacte de leur relation : modeste et authentique.

Lili et Léon, « petits » vieux attendrissants aux regards délavés comme seul le temps sait le faire, étaient devenus au fil du temps les « grands-parents » de tous les habitants de notre quartier. Ils avaient consacrés toute leur énergie de fin de vie à essayer de rapprocher les gens. Mieux que personne, ils avaient su insuffler l’espérance là où le purgatoire semblait la destination inévitable. On se plaisait à dire d’eux qu’ils auraient été capables de réconcilier « Narcisse et Echo » (*) tant ils faisaient preuve d’un irénisme sans limite. La moindre controverse trouvait apaisement et raison éloignant les coups de folie vers d’autres rivages. Leurs détachements des biens matériels en faisaient des argentiers voués à la faillite et ils prêtaient parfois au delà de leurs moyens mais là n’étaient point leurs tourments. Ensemble, ils semblaient intouchables malgré les tempêtes sociales réitérées qui pouvaient s’abattre sur nos petites ruelles. Selon eux, ce sont les branches d’un arbre qui le rendent fort et résistant, et non pas simplement la robustesse de son tronc. Chacun d’entre nous était ces branches, nos bois et feuillages étaient entretenus par ce merveilleux couple de jardiniers de la vie.

Malheureusement, « le temps passe et la mort vient ». Ce soir, chaque fenêtre, chaque pas de porte, chaque bord de cheminée accueille petites bougies ou photophores animés de leur flamme hésitante. Ces petites lumières illuminent tous nos endroits comme Lili et Léon avaient éclairé jusqu’à alors le quotidien de chacun : discrètement, tendrement, doucement. Le pire était arrivé. Quelques heures à peine avaient suffi à remarquer l’absence du couple qui semblait jusqu’alors éternel. On avait entr’aperçu Léon déambuler toute la matinée, de son pas cassé mais décidé, entre l’arrière de la maison et son jardinet. Le visage fermé mais à peine plus creusé qu’à l’accoutumée, il allait et venait. Dehors, par gestes lents et précis, il coupait généreusement les petits arbustes de lilas tout en soignant sa cueillette qu’il rentrait à l’intérieur au fur et à mesure. Au retour, les bras chargés, il avait plusieurs fois refusé, avec son sourire habituel, l’aide amicalement proposée par son voisin. Non, vraiment, rien ou presque n’aurait pu laisser présager la suite.

Les lilas de Lili…. Ils avaient fait revivre cette fleur dans notre quotidien, ce suave symbole amoureux, bien souvent oubliée. Lili, dans son infinie patience, en avait cultivé dans la plupart des jardins aux alentours, variant les couleurs, panachant les variétés selon les personnes à qui elles les destinaient. La lumière changeante au gré des heures et des saisons délivrait alors des couleurs pastelles insoupçonnées. Ravie, surprise comme à la première fois, elle était même émue devant le spectacle de ce prisme végétal naturel. Elle se plaisait à rappeler que cette plante était empreinte de pureté et d’innocence, ne s’offrant à l’origine qu’aux femmes à la morale exemplaire. Et c’est ainsi, qu’à chaque floraison, les habitations se retrouvaient dès lors honorées.

Léon s’était affairé jusqu’en début d’après-midi, ce qui en soit était bien surprenant étant donné qu’à l’accoutumée, vers les onze heures, il rejoignait Lili aux fourneaux afin de préparer quelques mets délicieux et parfumés dont eux seuls semblaient détenir le secret. En fin de journée, le voisin, intrigué par la quiétude des lieux, était venu frapper à la petite porte de derrière laissée entrouverte. Il la repoussa doucement. Un petit grincement sinistre déchira le silence chauffé par cette belle fin de journée. Des effluves floraux inondèrent immédiatement le pas de la porte repoussant dans un premier temps le visiteur. Celui-ci pénétrant les lieux eut alors une deuxième surprise : la maison était complètement tapissée et garnie de lilas. Enivré par la violence des senteurs, le voisin tituba puis rejoint le petit couloir qui menait aux chambres. « Lili ? , Léon ? » se risqua t’il tout en laissant vagabonder son regard sur les moments de vies exposés au long de centaines de photos jalonnant le passage. Pas de réponse. Un léger halo s’échappait de la chambre des deux tourtereaux, la petite angoisse naissante dans le bas ventre s’accentua. Quelques pas plus loin, il trouva Léon qui fixait Lili, allongée sur le lit dans une de ses plus belles robes. On devinait à l’expression du vieil homme, que sa femme lui apparaissait aussi belle et désirable qu’au jour de leurs fiançailles. Coquettement apprêtée, mais sans souffle et au teint anormalement livide, elle semblait s’être assoupie. Le voisin laissa échapper un petit cri d’effroi qui brisa le charme morbide de la scène. Léon, les yeux noyés par le chagrin, tourna la tête vers lui, il semblait terrassé par la fatigue et le tourment. Comme échappées des chaines de la raison, la douleur et la détresse se glissèrent alors hors de son corps dans un long déchirement sonore mélancolique, étranglé par l’émotion insoutenable…

Quelques jours sont passés maintenant. Je ne dors pas. Il est très tard pourtant. Pris d’assaut par les larmes, assis sur le banc du petit jardinet, je regarde les petites lumières qui font danser les papillons de nuit, révélant dans l’obscurité d’improbables formes de la Vie. La longue lamentation de Léon résonne toujours à mes oreilles, désarmante et tellement poignante. Pov’ vieux, il ne s’en remettra sûrement jamais. Mes larmes me submergent à nouveau. Entre mes lèvres, les mots s’entrechoquent me faisant chevroter. « Tu me manques terriblement Lili, tes lilas fleuriront indéfiniment nos âmes et nos allées. Je te le promets grand-mère. »

 

Coincoins éternels

 

(*) L’un, fils d’un dieu, amoureux de son reflet et incapable d’ « aimer », l’autre, nymphe punie (par Héra, femme de Zeus) qui ne pouvait plus se servir de sa voix hormis pour répéter des mots qu’elle venait juste d’entendre. Éperdument amoureuse de Narcisse qui lui ne voulait d’aucun réel amour, Echo mourut de chagrin jusqu’à ce qu’il ne lui resta plus que sa voix. Par la suite, piégé par Némésis, Narcisse perdit la vie en ne sachant pas détacher le regard de son propre reflet d’une eau où il était venu se désaltérer. Se contemplant, amoureux de lui-même, il mourut en cette place où son propre sang fit pousser une bien belle fleur blanche que l’on appela Narcisse. Avec des illustrations…ici -> http://www.jesuiscultive.com/spip.php?article364

 

 

Ce texte n’est pas libre de droits.

🙂

 

 

47 réflexions sur « Les jardiniers de l’arbre de mon quartier »

  1. Ping : Mourir ? Mais comment ? | Désir d'histoires

    • ouf .. je n’avais pas conscience de l’inconfort produit par mon fond noir. J’ai suivi une demande d’Olivia et je suis content de constater que cela en soulage plus d’un. Merci d’avoir souffert ces lectures ! J’espère que ton plaisir n’en sera désormais que plus grand !

      Coincoins sur fond blanc !
      Angel Articles récents..Encore un peu de temps en libertéMy Profile

  2. Je ne te dis pas merci, c’est la première fois que je pleure en lisant un texte d’un atelier littéraire. Que dire sinon que c’est très très beau. J’espère que cette fiction peut se réaliser dans la vraie vie. Je reviendrai relire ton texte plus tard

    PS : je préfère ton nouveau design de blog…
    Mind The Gap Articles récents..CassandraMy Profile

  3. Comme c’est triste, mais beau. En lisant ton texte, je sentais le lilas…
    C’est vrai qu’il en existe des vieux couples complètement en communion, si bien qu’ils se ressemblent physiquement. 50/60/70 ans de vie commune, ça fait rêver ? Dans le temps, la vie commune était moins compliquée…
    Bon we et bisous d’O
    Soène Articles récents..Des mots, une histoire 59My Profile

  4. J’ai beaucoup aimé ce texte qui m’a curieusement donné l’impression de connaître Léon et Lili tant ils ont su prendre forme et mouvement dans mon esprit.
    Je doute d’avoir une moralité exemplaire mais j’adore le lilas, j’aime l’idée d’avoir un bouquet de lilas (malheureusement introuvable chez les fleuristes) et j’aurais donc aimé être une branche de leur arbre.
    Mia Articles récents..Dans quel état j’erre…My Profile

  5. http://i41.tinypic.com/eqqzr9.jpg
    Pas trop de temps aujourd’hui!!!
    Alors je passe au galop
    Te faire un petit coucou
    Et te souhaite une merveilleuse journée
    Sous le soleil!!!
    Gros bisous.
    Domi.
    ps : malgré mon manque de temps je tenais à venir découvrir ton exploit et comme à ton habitude c’est très réussi, bravo!!! Pour ma part j’ai raté ce numéro, je suis donc déjà au suivant qui est publié sur mon blog aujourd’hui!!!
    dimdamdom59 Articles récents..Des mots, une histoire pour Olivia Billington!!!N°60My Profile

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