Un express pour l'(e dés)Amour ?

 

les plumes de l'annéeles plumes de l’année

 

C’est les vacances (enfin pour certains) et donc, durant cet entracte calendaire, le jeu « Désir d’histoires » se grime en un autre, « Les plumes de l’année » (édition 14). Cette fois, c’est la lettre N qui est à l’honneur et elle nous impose donc une liste de mots l’honorant : nouvelle – notoire – nigaud(e) – nature – nuance – nacelle – neutre – noix – naufragé(e) – nuage – nirvana – nana – nymphéa(s) – nouille – noble – noise – nitrate – nenni – noctambule – neuf – nougat.

 

 

 

 

Une nana hors du commun, un tempérament de feu, des yeux de braise, un visage lumineux, un coeur en flammes, une chaleur hispanique… Badaboum..badaboum.. fait le coeur quand je laisse mes pensées errer dans la nature, enfin dans ma nature. Ce nirvana, ma quête de la femme parfaite est devenue pour mon équilibre mental et sentimental un danger permanent. Plus que jamais, aujourd’hui, j’en suis convaincu. Une fois cet idéal atteint, l’incendie menacerait, la fournaise m’étoufferait, la flambée pourrait bien être l’ultime, l’embrasement serait sans aucun doute fatal. Oui mais voilà… J’ai tellement passé de temps à souffler sur les braises pour maintenir l’illusion de la rencontre suprême (chaque jour de plus en plus improbable) que je ne connais plus la chaleur des flammes, l’incandescence du sentiment d’aimer comme si j’étais naturellement devenu amnésique. Comment m’y prendre ? Saurai-je encore plaire ? J’ai chaud. Une fable apprise il y a longtemps ne cesse de tourner en boucle depuis ce matin…

 

« – Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?

– Nenni. » (*)

 

Quatre ans de vie de célibataire m’ont laissé le temps d’imaginer, d’espérer, de fantasmer mais aussi maintenant de redouter ce que pourrait être une vie à deux avec moi dedans. Mes échecs nombreux en la matière ont été autant de tempêtes, elles ont fait de moi un naufragé des temps modernes, à la recherche d’un ciel sans nuage. Difficile aujourd’hui d’avoir un regard neuf et neutre sur ma propre situation. C’est pour cela qu’il m’a semblé opportun de partager mes doutes avec Jean-Paul. Noctambule invétéré et beau parleur notoire, on le dit terriblement efficace dans le domaine de la séduction. J’ai testé mais je ne sais pas encore si j’approuve. Suite à un bref exposé de ma situation, m’accordant gracieusement quelques minutes de son temps précieux, il a été expéditif… Petit clin d’oeil à mon attention que j’ai supposé complice, il m’a déclaré, sans nuance : « – Aucun problème, j’ai ce qu’il te faut. Evry, restaurant La Nacelle, samedi prochain, le 25 à 19h30. Habille toi cool, propre et sois à l’heure… Fais moi confiance, ça va tomber ! ». Une carte glissée dans ma main, il a enchainé par un mouvement d’épaules pour « rechausser » sur sa frêle carcasse sa trop grande veste zébrée de blanc et de noir. Nouveau clin d’oeil enrichi d’un petit sourire de côté, il m’a gentiment écarté du bras me laissant ainsi comprendre que l’entretien était terminé. Un autre gars, l’air nigaud, apparemment tout aussi désemparé que moi s’est alors dirigé vers lui. Rideau. Le petit prospectus vantait une soirée « speed dating » (« recontres rapides ») en préparation durant laquelle « des célibataires vont se retrouver sur des sons électro dans une ambiance de folie »… (sic) … « Et la tendresse, bordel ? » (**)

 

« – M’y voici donc ?

– Point du tout. » (*)

 

Je me suis senti vraiment vide et incompris à cet instant…désespéré aussi. Quel besoin avais-je de me confier à un « spécialiste » en la matière ? Lui raconter mon intimité ne m’a apporté que de nouvelles noises au final : me voilà « recruté » pour une série de rencontres brèves programmées. Parler à toutes ces femmes, devant tous ces gens qui vont nous observer. « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? ». La seule évocation de l’évènement me ramène inéluctablement à l’image subliminale de l’élevage en batterie de poules et poulets, auxquels on brise les pattes afin de s’assurer qu’ils vont rester à la place désignée (re-sic)… « Tiens, prends ton cocktail aux couleurs perroquet, prends ta liste de numéros et va les rencontrer. Tu changes de table toutes les sept minutes. Puis tu reviens là et tu nous donnes le numéro de celles que tu veux que l’on te plume… » : ça y est, c’est sûr je déraille maintenant. J’ai vraiment très chaud.

 

« – M’y voilà ?

– Vous n’en approchez point. » (*)

 

De plus en plus angoissé, me voilà déambulant dans la ville, apprêté vestimentairement chargé d’une dizaine de petits sacs, je suis branché en mode pilote automatique. Chaque petit sac contient une petite boite de nougats et une fiole de vin doux de noix (produits de mon terroir natal garantis sans nitrates ni phosphates). Ces petits présents sont pour mes futures et brèves « partenaires ». Cette attention que je veux noble peut paraître quelque peu désuète, mais je m’en servirai comme sujet de discussion tout en espérant que le chrono tournera vite et donc en ma faveur. Je n’en parlerai d’ailleurs pas à Jean-Paul. La gorge est désespérément sèche malgré la demi-douzaine de verres d’eau enfilée dans la dernière heure. C’est avec la vessie prête à exploser et donc adoptant une démarche en canard que je m’engage dans la rue de ma destination finale. Le palpitant ne décélère plus depuis maintenant un peu trop longtemps. Je brûle à l’intérieur ! L’encolure de ma chemise toute neuve pourtant encore lâche il y a quelques instants s’est diablement resserrée. Je délace la cravate. 19h22..!! P’tain que le temps passe vite. Je continue de gonfler me semble t-il, tant et si bien que maintenant j’ai l’impression de porter autour du cou une collerette immense, brûlante et lourde d’amidon, comme si je venais de défoncer un nymphéa complètement desséché et en feu à l’aide de ma tête. Pauvre (gre)nouille sans plus aucune embarcation sur laquelle me tenir… 19h29. La main frémissante sur la poignée de la porte d’entrée, les battements de mon coeur se noient dans les basses exacerbées de la soirée déjà lancée. Je ne les sens même plus. Je perds pied !

 

« La chétive Pécore

S’enfla si bien qu’elle creva. » (*)

 

 

Coincoins gonflés !

 

(*) Extrait no 1 d’une fable de Jean de la Fontaine, « La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf »,  Livre I, fable 3

(**) Film (1979) de Patrick Schulmann

(***) « Les fourberies de Scapin » – Molière

 

Ce texte n’est pas libre de droits.

Les plumes de l’année 13 – les mots en M

 

Ceci est ma contribution aux plumes de l’année numéro 13 (avec des mots en M). Mon point de départ à cette histoire inspirée en (petite) partie de la réalité a été un article dernièrement publié ici même.

Voici la liste définitive des 17 mots commençant par M qu’il me fallait placer dans mon texte de samedi matin : matin – mélancolie – mariage – moulin – mausolée – minuscule – marmelade – mauve – mouchoir – mimétisme – miniature – merveilleux – méandre – murmures  – martingale – mélange – misérable.

(A savoir que les verbes donnés à l’infinitif peuvent se conjuguer, qu’un substantif au singulier peut se mettre au pluriel ou vice-versa !)

Edit du 7/01/2012 – 10h30 : ici, les différents textes produits ! BonneS lectureS !

 

 

Espoir

Espoir

 

« No sugar.. no milk… just your smile to make it sweet ! » (*)

(*) "Ni sucre ni lait... juste votre sourire pour le sucrer"

Moi, rougissant, souriant, stupéfait… A mon insu, les mots se sont glissés hors de mes pensées. Elle me rend mon sourire (que je sens pourtant niais) en me tendant mon café. Elle retourne à son occupation d’avant mon apparition, la « san phra phum », maison miniature traditionnelle thaï est désormais presque complètement débarrassée des stigmates de l’orage de cette nuit. Ici, ces petites reproductions fidèles sont le complément indispensable de chaque habitation. Destinée aux offrandes quotidiennes, elles abritent les pra phum (seigneurs des lieux) qui éloignent les mauvais esprits. Elevée du sol par un gros pilier central, celle-ci est particulièrement difficile d’accès. Sur la pointe de ses petits pieds nus, Joei inspecte consciencieusement la maquette. Une à une, les figurines renversées sont redressées. Certaines d’entre elles sont typiques, d’autres ont une origine bien moins proche. Offert par un hypothétique client de ce « guesthouse » (pension familiale), un petit moulin arborant la mention « Kinderdijk » a une de ses ailes mal en point. Par des gestes doux et précis, mon hôtesse la redresse et la refixe à l’aide d’un minuscule bout de ferraille. Satisfaite, elle le replace. Immédiatement, les toiles à petits carreaux bleu et blanc, certainement découpées dans un vieux mouchoir, se tendent et se meuvent. Le mariage improbable de tous ces objets compose une scène qui me rappelle les brocantes que j’affectionne tant. Elle se recule lentement, la tâche semble achevée. Elle me rejoint sur la petit banquette en osier. Cela me tire de ma torpeur et me ramène à la réalité de ma situation embarrassante.

« No sugar.. no milk… just your smile to make it sweet ! ». Comment ai-je pu laisser échapper cette phrase ? Je suis surpris. Je rougis à nouveau et quand elle s’en aperçoit, son sourire (qui ne l’a pas quitté une seule seconde) s’élargit encore. Rassuré de ne pas être perçu trop cavalier, je me réjouis de cette martingale improvisée qui m’a permis au final de libérer mes sentiments enfermés. La mélancolie qui me ligotait l’âme encore ce matin vient de voler en éclat. Désormais, c’est le battement de mon coeur au galop qui rythme le fil de mes pensées. Je détourne doucement mes yeux, je sens qu’ils deviennent trop insistants. Mes mains tremblent légèrement, imperceptiblement, du moins je l’espère. Elle est ravissante, troublante. Imperturbable, ses yeux noirs et profonds cherchent désormais les miens. Ils se rencontrent à nouveau. La légèreté de cette merveilleuse sensation de douceur partagée me berce, me calme. Dans le silence et la fraîcheur du petit matin, nous sommes là, côte à côte, sous le auvent principal de la grande demeure. Malgré les gros nuages annonçant d’autres pluies déferlantes, je suis maintenant encore plus impatient d’en finir avec mon petit déjeuner. En étalant ma marmelade, je révise mentalement le programme de la journée : gravir le pic voisin qui depuis mon arrivée me nargue et visiter les pagodes d’un roi et d’une reine jusque là totalement inconnus pour moi. Je meurs d’envie de lui proposer de m’accompagner. Je sais que c’est une curieuse invitation que celle de proposer de visiter cette sorte de mausolée mais aucune autre idée ne me vient.

Maintenant, je cherche les mots qui vont suivre. Je me fouille. Je lance une traque dans les méandres de ma mémoire. Comment agir ? Le faut-il d’ailleurs ? C’est la confusion totale.Tout se mélange. Je suis là, au bout du monde, en pleine nature, à quelques kilomètres à peine du plus haut sommet de la Thaïlande, le Doi Inthanon. Le parc national environnant recouvre toute la montagne. Les murmures de cette impressionnante forêt se font plus présents, comme encouragés par la clarté naissante. La surenchère des couleurs de l’envahissante végétation efface peu à peu le ton mauve de l’aube. S’emmitouflant dans une légère brume, tel un mirage, la nature, insatiable, reprend sa vie. Cette scène improbable pour un occidental comme moi ôte toute vraisemblance à cette jungle.

Tantôt considéré comme un intermittent de l’amour, tantôt comme un soliste épanoui, là encore, je ne sais plus sur quel pied danser. Bientôt, il me faudra retourner d’où je viens, me ramenant ainsi à ma misérable solitude. Plus que quelques jours et il me faudra rentrer chez moi, loin d’ici, rejoindre mon minuscule 30 m2. Dans un mimétisme parfait, je partagerai à nouveau ce quotidien fade et aliénant de mes semblables urbains de la grande métropole. Peur du vide ? Révolte de mon inconscient jusqu’à alors muet ? Mon être passe en pilote automatique. L’air emplit de nouveau mes poumons. Mécanique, ma respiration me redonne un semblant d’allant. A nouveau, les mots jaillissent par surprise mais cette fois, mon sourire s’est évanoui. Le tambour qui remplace mon coeur cogne si fort que je ne m’entends pas. Ma bouche cesse d’articuler. Je crois que j’ai fini de parler. J’attends. Le temps est suspendu dans une seconde à l’allure éternelle. Elle ne m’a pas quitté des yeux. Sans hésitation, elle me répond. Le reste n’a plus d’importance.

Elle accepte.

 

Coincoins que j’M

 
 

Ce texte n’est pas libre de droits. La photo non plus