Le reflet brisé

Désir d'histoires

 

Désir d’histoires no 77 et ses mots imposés :

nuitée – zouk – cadenasser – blues – ventiler – vitreux – bigre – communauté – épice – s’abandonner – pénombre – antichoc – téton – escargot – érable – rancune – massage – détonation – rouler – évanoui

Les autres textes, ICI.

Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Les épisodes précédents sont réunis dans une seule et même page, ici, Work in progress (Écriture en cours).

L’étau semble se refermer (enfin ?). Après une (re)mise au point faite par le gros belge, M. Yole, tout semble se simplifier. Mais …

 Cette nouvelle nuitée mouvementée(*), passée à quérir et à parlementer m’a littéralement épuisé. Une douche réparatrice s’est avérée nécessaire afin de me permettre de récupérer quelques forces. J’avais oublié combien il était bon de s’abandonner au massage d’un jet puissant d’eau brûlante. Il me fallait évacuer ce stress, débloquer la tenaille qui me cadenassait l’estomac. J’ai fini par me perdre dans la vapeur abondante qui a très vite envahi la douche. Un peu plus tard, mon visage est réapparu dans la traînée baveuse que ma main passée à plat sur la buée du miroir avait créée. Dans ce reflet troublé, je me reconnais à peine, mon visage est amaigri, taillé à la serpe, barbe hirsute et vaillante façon barbelé. Mon corps a mal, ecchymosé de toute part comme jamais il ne l’avait été auparavant. La liste est longue : épaule amochée, tétons écorchés, dos endolori, jambe brûlée. Mon corps crie, il tente de réveiller l’alarme que j’ai tant eu de peine à faire taire. J’actionne le bouton de la ventilation, histoire d’évacuer la confusion visuelle et morale qui règnent. Cette dernière reste muette. J’entrouvre légèrement la porte qui donne sur la chambre, restée dans la pénombre, rideaux tirés. Bigre ! Je perçois un mouvement. Quelqu’un est là, on m’attend patiemment. J’élargis l’ouverture et fait ainsi apparaître mon discret visiteur dans la lumière diffuse de la salle de bains.

Je reconnais ces yeux perçants déjà devenus familiers. Wens me regarde. Impassible, Il tient son Stetson dans la main droite, il a belle allure dans son costume aux plis impeccables. Admirablement maîtrisé, son regard fait un simple va-et-vient entre moi et la porte d’entrée. Le transistor allumé diffuse inlassablement des morceaux de blues. L’instant semble se prolonger indéfiniment. Mon interlocuteur s’apprête à parler, il semble choisir ses mots.

 « Je suis là de ma propre initiative. J’ai de mauvaises nouvelles. ».

Étrangement, il ne pratique plus le tutoiement qu’il s’était autorisé jusqu’à maintenant. Il me fait alors part de ce qui s’est passé dans l’ambulance où lui-même se trouvait escortant Rocio. Celle-ci avait à peine repris ses esprits qu’elle s’était évanouie de nouveau. Son état de choc et la grande quantité de sang perdue suite à son agression l’ont énormément affaiblie. Mais il semble qu’elle a été prise en main à temps. Ses jours ne sont plus en danger, ce qu’il lui faut maintenant c’est un peu de repos…

« …comme faire une longue croisière. » ponctue t-il  ce monologue, bien trop long pour lui.

Insistant sur ces derniers mots, Wens stoppe son récit, me dévisage puis reprend, le visage encore plus sombre :

« Mes instructions sont claires. Je dois tout faire pour la maintenir en vie…jusqu’à ce que vous ayez fini votre dernier travail. Pour la suite, je vous laisse imaginer ce que l’on attend de moi, la concernant, elle, mais aussi vous… ».

 Il illustre ses mots en écartant rapidement le pan droit de sa veste, tapotant de son majeur son pistolet, sagement rangé dans son holster. Je tressaille. C’est mon corps qui ricane, me bouscule, il me rappelle ce qu’il essayait encore de me dire quelques instants plus tôt.

 « Mais.. mais vous, Wens, … que faites-vous là ? Pourquoi me prévenir ? » bégaie-je difficilement.

 « Disons qu’au-delà d’une motivation toute personnelle de quitter définitivement cet endroit, je saisis l’opportunité unique de signer avec vous le contrat de ma vie ».

Il temporise, nouveau regard furtif vers la porte puis il se déplace vers la fenêtre occultée. Le tempo de la musique à la radio s’accélère sur un zouk local. Il écarte doucement l’épais rideau et jette un œil à l’extérieur. Puis, revient vers moi en reprenant la parole :

 « Si j’ai bien compris votre situation financière, mon tarif ne devrait pas vous poser de problèmes et je suis très certainement le seul à pouvoir mettre un véritable point final à toute cette histoire. ».

Il m’explique alors rapidement sa fonction de nettoyeur longtemps exercée dans cette communauté occulte. Son récit est clair, concis. Il ne s’attarde pas trop pour rapidement  aborder l’essentiel. Il me décrit son plan de sortie pour lui, elle et moi. Effacer nos traces ne devrait pas être trop compliqué. Bien que le programme de protection de témoins soit bidonné, ses connexions à lui avec l’Amérique du Nord sont bien réelles. Il me propose de nous éclipser à la faveur de la prochaine nuit et d’embarquer sur un navire de marchandises qui doit appareiller au petit matin du port de Santo Domingo (République Dominicaine) pour le Canada. Le voyage se ferait en grande partie à l’air libre mais pour les points de contrôle sensibles nous aurions à nous cacher à l’intérieur d’une caisse au revêtement intérieur rembourré et antichoc. Au milieu de plusieurs milliers de caisses d’épices du même type que la nôtre, notre périple se passerait en toute sécurité. Malgré la vitesse de croisière très lente des paquebots, nous devrions être sous huitaine dans les eaux canadiennes.

« Dans l’intervalle, des passeports ornés d’une feuille d’érable auront été réalisés à vos noms et vous seront remis avant même d’avoir mis un pied sur le quai d’arrivée. Oubliez cette rancune qui vous anime à mon encontre, elle pourrait être mauvaise conseillère. Je ne suis pas ici pour vous rouler monsieur le petit génie de la finance, je vous aide à vous sortir de ce guêpier et vous, vous m’aidez à quitter ce business duquel on ne ressort que trop souvent avec les deux pieds devant. »

 L’atmosphère est devenue lourde. Malgré ma tenue très légère, une simple serviette enroulée autour de la taille, la sueur inonde désormais mon corps. Dehors, un orage se prépare… Le vent s’est levé. Au même instant qu’une goutte de ma sueur s’écrase sur la moquette épaisse, une première détonation sourde et grave lance les hostilités dans le ciel.

Coincoins frissonnés

(*) Voir épisode précédent  « Double urgence »

 

 

 La suite, ici : À venir

Ce texte n’est pas libre de droits.

:-)

 

 

 

 

Double urgence

Désir d'histoires

 

Désir d’histoires no 76 et ses mots imposés :

huppe – finasser – univers – flammèches – enquiquiner – saturation – évidence – époustouflant – attente – rituel – collection – hôpital – qui – nouveauté – mollusque – fabuleux – retraite – tordre – chicaner – blanc – portière

Les autres textes, ICI.

Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Les épisodes précédents sont réunis dans une seule et même page, ici, Work in progress (Écriture en cours).

Les instants apaisants partagés au côté de la belle cubaine sont de courte durée. Les délais ainsi que la patience de l’entourage se reserrent.

L’ultimatum donné la veille(*) a fonctionné à merveille : après avoir passé deux heures auprès de  Rocio, j’ai pu accéder en fin de journée à la salle des transmissions (c’est ainsi qu’il la dénomme) afin de m’assurer que tout se déroulait comme je l’avais planifié. Ils n’avaient pas toujours trouvé le moyen de passer les différentes protections de mon système informatique. Assurément, ils faisaient leur possible afin de me pister à chacune de mes connexions mais les brouilleurs que j’avais activés les tenaient à distance en fonctionnant à merveille. Je fus autoriser à rejoindre Rocio pour le reste de la nuit. Celle-ci fut courte. Je ne pris pas le temps de finasser avec mes « protecteurs ». L’état de la main de Rocio s’étaient encore dégradée, celle-ci souffrait le martyr. Il était devenu urgent que de véritables soins lui soient prodigués, et bien que ma demande de la faire prendre en charge par un hôpital enquiquina au plus haut point, je parvins tout de même à trouver une oreille attentive. Le point de saturation à partir duquel la moindre flammèche agaçante de mes requêtes ferait exploser de colère mon interlocuteur belge était tout proche. Huppe sur la tête et le visage marqué par le profond sommeil duquel on avait dû le tirer lorsque je me permis de donner l’alerte en pleine nuit, monsieur Yole m’avait tout d’abord accueilli avec un air ahuri, à peine plus réactif qu’un mollusque à qui on aurait ôté par surprise sa coquille. Une fois sorti de l’univers des songes, il ne tarda pas à reprendre les rênes de la discussion en me rappelant qu’il était également en attente de choses bien précises de ma part. Malgré cette remarque, j’entrepris de lui expliquer la situation plus qu’inquiétante. Je parvins à lui faire comprendre que l’urgence était devenue une évidence. La fièvre de la belle cubaine avait fini par lui faire perdre connaissance, s’effondrant dans mes bras, terrassée par une impressionnante série de convulsions. Ne parvenant pas à la réveiller et ne trouvant qu’un pouls étrangement atone, je m’étais résolu à invoquer une nouvelle fois l’ultimatum(*) auprès du garde qui se tenait devant la porte de la chambre où nous avions été confinés. Étonnamment, il ne fit pas de manière et lassé, il donna les ordres adéquats..

Moins d’une demi-heure plus tard, la portière arrière blanche de l’ambulance à peine refermée, je me trouvais de nouveau face à monsieur Yole qui entamait avec une placidité toute nouvelle son petit déjeuner. Entre nous, une étonnante collection de confitures nous séparait. Son doigt passa de d’un couvercle à l’autre, il marmonnait entre ses dents ce qui s’apparentait à une comptine enfantine. Tout à son rituel d’un autre âge, il ne perçut même pas les attitudes blasées de ses hommes de main. Un d’eux alla jusqu’à hausser légèrement les épaules en dodelinant de façon presque imperceptible ses épaules. Finalement, mon lunatique hôte se décida à m’adresser la parole, s’exprimant très distinctement, détachant chaque syllabe dans un discours sans le moindre accent wallon :

« J’ai reçu des instructions. Il y a quelques nouveautés dont je dois vous faire part. Votre retraite en ce lieu doit rapidement trouver son terme monsieur Ribera. Vous devez tordre le cou à vos réticences et inquiétudes. Nous savons, et nous, et vous, que des intérêts fabuleux sont en jeu. Plus le temps passe, plus nous laissons de temps à l’adversaire pour se relever et remonter notre filière. Cessons de chicaner et parlons très clairement. Votre prix sera le nôtre, mais, il me semble, que cela, vous l’aviez déjà compris. Votre dangereuse amourette avec notre ennemie nous importe au final que très peu, à ceci près, qu’elle ralentit la reprise de notre collaboration. Aussi, entendons-nous bien sur ce point, tout doit être réglé dans les heures qui viennent. Faites en sorte de rapatrier tous les fonds dispersés en les répartissant équitablement sur les comptes dont en voici la liste. Nous fermerons les yeux sur les quelques miettes que vous avez certainement déjà collectées. Bien malin serait celui qui parviendrait à remettre la main dessus, n’est-ce pas ? Considérons que c’est le gage de notre sérieux et de notre motivation à poursuivre l’aventure avec vous…»

À la fin de sa phrase, il engouffra une moitié de la tartine qu’il venait de se confectionner tout en me parlant. Sa proposition était époustouflante. En quelques mots, il venait de me céder plusieurs millions de dollars. Moi-même, je n’en tenais pas le décompte exact mais le montant total de mes petites manipulations était certainement conséquent. Imperturbable, il engloutit le reste de la tranche de pain, l’air satisfait, laissant entrevoir le magma écumant de sa bouche. Je parcourus rapidement la dizaine de références internationales bancaires qui évoquaient pour la plupart des destinations lointaines aux noms magiques. L’espoir revint.

Bientôt, si je me débrouillais bien, Rocio et moi serions sur une plage d’un de ces endroits exotiques…

 

Coincoins à l’horizon

 

Voir épisode précédent : « L’improbable union »

 

 

 La suite, ici : « Le reflet brisé »

Ce texte n’est pas libre de droits.

:-)

 

 

Un doigt de sincérité

Désir d'histoires

Désir d’histoires no 72 avec 21 mots proposés par les participants au jeu organisé par Olivia :

distance – parenthèse – éperdue – instinct – emmurer – aporie – gigolo – archet – charbon – force – exagération – rentrée – inspiration – euphorie – sensible – attitude – majolique – étranger – péripétie – raisins – impertinent.

Les autres textes, ICI.

Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Les épisodes précédents sont réunis dans une seule et même page, ici, Work in progress (Écriture en cours).

Les principaux acteurs de cette aventure se retrouvent réunis. Le ventripotent belge semble mener la danse désormais… Il prend donc l’initiative !

À partir de ce moment-là, mes souvenirs deviennent un peu confus et je m’en excuse. Je sais combien il est important que je sois clair et précis en ces lignes…mais voilà, l’extrême tension et  la force de ces instants ont gommé les contours de ma mémoire, me privant de la moindre prise concise sur toutes ces péripéties. L’apparition de ces deux personnes, Wens et Rocio, n’était pas le fruit du hasard. J’appris par la suite que dès j’avais été mis à l’abri, Wens avait été chargé par Yole le cravaté de mettre la main sur la redoutable mulata. Elle et ses sbires, immobilisés sur les flots aseptisés d’une mer d’huile, avaient eu beaucoup de peine à mettre de la distance entre eux et le lieu de notre dernière altercation. Bien qu’étranger à ce pays, le fin limier à leurs trousses n’avait eu aucun mal à retrouver leurs traces et à les  neutraliser durant cette courte parenthèse de calme dans cette histoire. D’abord surpris, je me suis demandé pourquoi le commanditaire belge avait eu l’inspiration de ramener cette féroce ennemie. Les choses sont très rapidement devenues claires à ce sujet.

Réunis dans la salle désertée du restaurant, dans un décor romain improbable orné de majoliques factices, Rocio se tenait là, solidement ficelée et maintenue. Le soleil qui traversait les légers rideaux léchait discrètement son visage et parcourait son formidable physique au hasard du souffle du vent. Adoptant une attitude fière, elle se plantait là, droite, mâchoire serrée, les yeux grand ouverts fixant un à un ses adversaires. Elle sembla perdre de sa contenance lorsque nos regards se croisèrent, court instant suspendu mais d’une intensité presque palpable. Cela n’aurait pu être que mon imagination, mais je sentis que le « gros », pourtant étranger à notre relation jusqu’à maintenant, avait également perçu ce court moment vaporeux. Cela confirmait son instinct et la suite le conforta dans sa position déjà plus que favorable. Je ne pourrais retranscrire exactement ses mots, je me souviens simplement que dès lors, étonnamment, chaque mot qu’il prononça était vide de cet horrible accent dont l’exagération m’avait jusque-là irrité. La bedaine proéminente, finissant de machouiller un grain de raisin, il se tenait entre elle et moi. Son regard impertinent allait et venait de l’un à l’autre. En fait, dès qu’il avait eu connaissance de nos moments « éperdus » cette nuit où captif, j’avais (facilement) cédé aux avances de Rocio, un autre atout était apparu dans son jeu. Crânement inspiré, sa bonne intuition semblait le mettre dans un état de légère euphorie. Son sourire se fit plus malsain, carnassier. Il tendit sa main droite dans la direction d’un des deux baraqués dans laquelle ce dernier s’empressa d’y disposer une petite tenaille à la mâchoire disproportionnée et puissante. Il serra à s’en faire blanchir les phalanges l’instrument étincelant d’acier. Prestement, il se précipita à une table vers laquelle on amena également la captive. On obligea celle-ci à appuyer son coude sur la nappe usée et fleurie, laissant ainsi le reste du bras et ses doigts écartés suspendre dans le vide. Yole glissa l’auriculaire entre les lames de son instrument et tel un violoniste répétant ses gammes en faisant flotter un hypothétique archet, il singea la ponctuation de l’acte qu’il avait, semble t-il, bien l’intention de commettre. Cette feinte ne fit même pas tressaillir Rocio, emmurée dans un mutisme forcé, dernier bastion de sa résistance. Moi, par contre, à ma grande surprise, je laissai échapper :

« Stop ! S’il vous plaît ! Ne faites pas cela ! ».

Pris en flagrant délit d’aporie, j’intervenais pour sauver mon impitoyable poursuivante en m’interposant… Cette attitude contradictoire n’étonna pourtant pas du tout l’habile belge qui se retourna vers moi en m’adressant ces mots très sèchement cette fois :

« On a le cœur qui brille pour la belle négresse à ce que je vois. Parfait ! Je n’ai donc plus aucune raison de douter de votre motivation dans le cas qui nous concerne. Nous allons laisser minette gratter encore un peu la terre puis nous aviserons…  quoique… Pourquoi être si sensible et attendre ?».

S’aidant à peine de sa deuxième main, il se tourna et resserra la pince qu’il tenait toujours fermement. Un petit claquement caractéristique ponctua ses derniers mots. Le corps de la jeune femme se tendit promptement bien qu’elle ne laissa échapper qu’un murmure de douleur. Une grimace figeait ses traits, ses yeux n’exprimaient que la rage et la douleur. Dans un monologue qu’il devait juger de circonstance, ce détraqué du sushi expliqua alors qu’il venait de pratiquer un « Yubitsume » (*), auto-ablation couramment pratiqué par les yakusas. Sur ce, il m’invita une dernière fois à  «  aller au charbon » (ce sont ses propres mots) concluant son propos avec cette dernière phrase au goût acide :

« Les vacances sont terrrminées, c’est la rentrrrée ! ».

Coincoins motivés

(*) Yubitsume : Cette coutume est la forme la plus commune de réparation en cas d’erreur ou de manquement à leur devoir.


 La suite, ici : Défibrillation

 

Ce texte n’est pas libre de droits.

:-)