Par les c……. !

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Désir d’histoires 58 et sa liste de mots (28 au total) :

cacophonie – (cicatrice) cochon – grésillement – jettatura – aboiement – printemps – cycliste – blessure – amer – signature – mobilisation – promotion – tradition – balcon – héroïne – solitude – écran – tremblement – bredouille – égarement – oral – dévotion – extravagance – copuler – lassitude – virgule – brousse – épuisée

@ edit du 16/03/2012 : les textes de Désir d’histoires 58 ici ! 😀

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A l’opposé de nombreux anciens couples, qui ne savaient plus pourquoi ils s’étaient séparés (“on ne se parle plus même si on ne sait plus pourquoi”), lui, il porte en lui une blessure au goût amer, à la cicatrice profonde et dont il se rappellera l’origine tout le reste de sa vie. Il en est persuadé, il a été maudit. Quoiqu’il fasse, la cacophonie de leur dernière dispute restera à jamais gravée dans sa mémoire. En fermant les yeux, il revoit aisément la scène. Il la revit même, encore et encore. Sans fin, il déroule ces dramatiques instants.

Elle les avait surpris, lui et l’autre… dans le lit conjugal, en train de se livrer à un petit jeu de sexe oral. Cette fellation, ce moment d’égarement matrimonial allait coûter cher à l’un comme à l’autre des amants. Tonina, dans un accès de fureur incroyable, s’en était d’abord pris au mobilier de la pièce. La porte fenêtre du balcon, vitre explosée, était grande ouverte. Le vent que ce début de printemps ne pouvait réellement adoucir balayait les rideaux en grande partie déchirés. Au grésillement des haut-parleurs, on comprenait que le téléviseur n’avait pas supporté la bousculade qui l’avait fait basculer, l’écran en avant, sur le parquet.

“Cimolino, charcuterie italienne de tradition, de père en fils”…ou plutôt pour être exact, dans son cas à elle, de père en fille. Les couteaux de cuisine avaient toujours été longs et bien affûtés à la maison. Quelle erreur ! Elle allait lui faire passer l’envie de copuler dans son dos à l’avenir. Saigner le cochon, cela la connaissait et c’était exactement l’intention qu’elle avait à cet instant, là, maintenant, tout de suite. Le boudin allait être en promotion dans les heures à venir. La pièce dévastée ne laissait aucun doute à ce sujet. Telle une héroïne d’un mauvais film de série B, elle se tenait devant lui. Les jambes légèrement écartées, un couteau dans le prolongement de la main droite, sur le fil duquel suintait déjà un léger filet de sang. À ses pieds, entrailles explosées, le corps de la partenaire de jeu gisait au sol, inerte. Tonina releva lentement la tête vers lui puis le regarda fixement, épuisée. Son mascara, pourtant anti-larmes, souillait son doux visage, dessinant un surprenant point d’interrogation à l’envers. Mais, elle n’hésitait pas …ou plutôt, elle n’hésitait plus. Elle n’était plus elle-même, la folie s’était emparée d’elle, pulvérisant chaque once de raison. Quelques centimètres à peine les séparaient. Son regard sicilien, azur profond était dur, terrible signature de la jettatura qu’elle était en train de lui jeter. Les yeux exorbités, les tremblements de la transe qui la secouaient de la tête aux pieds n’en laissaient aucun doute. Elle ponctua son court mutisme par ces quelques mots explicites « Par les c……. ! » qu’elle lâcha entre ses dents à peine desserrées. Dans un calme effroyable, le bras gauche tendu en avant, elle ouvrit soudainement sa main et simula qu’elle agrippait l’entrejambe de son conjoint fautif, qu’elle fixait d’un air dément. Puis, d’un geste sec, elle imita le mouvement latéral d’une découpe rapide et impitoyable ne laissant aucun doute à sa potentielle victime sur son futur sort. C’est à ce moment-là qu’il choisit de s’échapper dans un hurlement de terreur.

Il se souvient seulement de quelques bribes de sa fuite : la porte d’entrée qu’il a fait voler en éclat, son instinct de survie en mobilisation maximale, les escaliers dévalés quatre à quatre, un rictus d’effroi sur ses lèvres retroussées, l’aboiement du chien du voisin du dessous comme un encouragement à détaler encore plus vite, l’arrivée en catastrophe sur le trottoir devant l’immeuble, amortissant sa chute contre un cycliste terrorisé par l’extravagance de la situation d’un homme nu criant à la mort et par là même, le renversant, la sirène de police comme la conclusion rassurante d’une chasse à l’homme, affolante battue en brousse mais heureusement bredouille….

Peu de temps après, l’internement définitif de Tonina était décidé mais, pour lui, un autre enfer a alors commencé. Sa vie, dès lors pavée de solitude et de souffrance, a complètement changé. Il a tout essayé afin de déjouer le mauvais oeil qu’il sent sur lui en permanence. Rien n’y a fait. A la stupéfaction des médecins, les infections génitales se sont succédées tout en empirant.  Dix ans se sont écoulés depuis. Aujourd’hui, il est contraint de vouer une dévotion sans limite au goutte à goutte de sa perfusion, la dégradation se poursuit, inexorablement… Aussi gros qu’une balle de tennis, un terrible cancer du testicule gauche vient d’être diagnostiqué.

 

 

Coincoins coupés/gonflés

 

 

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