« Baisse la tête, je vais… »

les plumes de l'année
les plumes de l’année

Olivia poursuit son break-vacances, nous profitons donc Asphodèle et ses plumes de l’année (en P cette fois) une deuxième semaine :

Poussiéreux (se) – pluie – pré – persévérance – parcimonie – picorer – page – perdu(e) – pétillant(e) – procrastination – pédalo – putréfaction – pollen – pardon – persan – pivoine – partage – poudrer.

Ici les autres textes, chez Asphodèle !

 

 

 

Note du Canard : Pour donner encore un peu plus d’épaisseur à l’intrigue, au contexte et au personnage, ce texte peut aussi se lire en sachant qu’il est la préquelle de cet autre article publié il y a peu : « Encore un peu de temps en liberté… » 😉

Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Retour donc à de la pure fiction avec un (léger) hommage à mon blogo-dézingueur préféré ;-).

 

Presque deux heures que je cavale. Mon premier réflexe a été salutaire. Foncer au vestiaire pour y récupérer mon équipement de course était de loin la meilleure idée de ces vingt-quatre dernières heures. Champion de la procrastination, ne pas ramener chaussures et pantalon de course à la maison pour les décrasser m’a permis de les avoir là, sous la main. J’abandonne fissa l’accoutrement de pingouin (costume et chaussures à semelle glissante), pour mieux fuir la banquise de la finance bancaire devenue instable. Lors de ma sortie par l’arrière du bâtiment, deux gaillards en costard sombre furètent déjà dans le contrebas de la ruelle, l’un, longiligne au regard de fouine et pétillant de vice, l’autre, immense, à la panse débordante et rougeaud à concurrencer les plus belles pivoines. Désolé, pas le temps de faire connaissance. M’éclipsant en petites foulées, j’ai juste le temps de les entendre m’interpeller, vociférant à travers le haut grillage qu’ils ne peuvent pas franchir.

Encore juste un peu avant, au téléphone :

« J’appelle de la part de qui tu sais. Ils t’ont retrouvé. Il faut bouger au plus vite. Ni voiture, ni transport en commun, ni ami, ni proche. Dans deux heures, au pied des antennes RTL à Junglinster, une camionnette jaune au grand carrefour. Je t’y attends pour la suite. Magne, sinon ils vont TE choper » …

La voix était précise, claire. C’était la voix d’un homme s’exprimant sans détour, avec parcimonie, un gars efficace. Bien que je sache pertinemment QUI veille sur moi, je m’affole. J’aurais dû respecter le partage initialement prévu. Je n’ai aucune envie de me faire rattraper par mes poursuivants hostiles. Ma dernière magouille financière est celle de trop pour mes dangereux « associés ». Qu’importe, désormais, avec les deux hommes de main du dernier pigeon à mes trousses, le message est clair, le pardon n’est plus envisageable.

Courir n’a jamais vraiment été une seconde nature, c’est plutôt un besoin, une nécessité pour évacuer le « stress » de la profession. Ces deux dernières années, étonné moi-même par ma persévérance, j’ai régulièrement sillonné les chemins de terre poussiéreux et les sous-bois du pays. Aujourd’hui, il me faut rejoindre mon contact-relai en toute discrétion. Sans hésitation, j’ai confié mon sort à mes jambes et j’ai décidé de filer à travers la campagne. Une bonne douzaine de bornes que je rame, la pluie qui s’abat sur la région depuis plusieurs jours rend impraticable les chemins de traverse. A l’abri des regards, je coupe par de longs champs de maïs ou de sorgho. En dehors d’une carcasse de corbeau en état de putréfaction avancée, je ne croise rien d’inhabituel sur mon parcours, au moins, j’ai la paix. L’eau reflue de toutes parts, la terre se saoule et dégueule son trop plein. Bientôt un pédalo sera nécessaire pour poursuivre. À chaque foulée, mes pieds sont aspirés par la gigantesque mare de boue, un bruit de succion rythme la cadence. C’est lessivé et crotté de merde que je déboule sur une petite route, à quelques dizaines de mètres, en amont du lieu de rendez-vous. Trempé par sueurs et eaux du ciel qui ne cessent de déferler, j’ai les cuisses gelées et rougies par le choc thermique qui tétanisent, mes chaussures ne sont plus que deux gros sabots de boue. Mon calvaire est presque terminé, je suis tout proche. Non loin d’un panneau annonçant une vente de produits régionaux (pollen, miel et pommes de terre), un véhicule utilitaire jaune est là. Je progresse lentement, ruisselant, derrière un rideau de flotte. L’estafette stationne à l’abri du déluge et des indiscrétions sous le porche d’une ancienne friterie abandonnée. La hanche endolorie par un point de côté, jetant des coups d’œil rapides aux alentours, je me traîne jusque-là péniblement.

Premier contact visuel avec mon mystérieux messager. Il se tient appuyé contre la portière côté passager, cigarette allumée, sous un stetson sombre et lacé. Sur la vitre arrière, je lis « CLEAN WENS – dératisation, désinsectisation – 95340 Persan – 24/24 et 7/7 – Tél : 06 00 00 06 66». Les chiffres du diable léchés de rouge me font frissonner, D’un hochement de tête, il m’invite à m’approcher. Je n’arrive pas à distinguer ses yeux. Il s’écarte, main dans la poche de l’imperméable. Transi et anxieux, je m’apprête à m’engouffrer dans le véhicule. Siège et tapis sont recouverts de plastique, prévoyant, mon nouveau compagnon. Ainsi, je ne vais rien dégueulasser… A moins que… Je devine le frottement de l’acier au contact de la doublure de sa poche. Mon sang se glace. Et si ? … Je me fige mais derrière moi, le mouvement, lui, s’accélère. La pensée que mon heure est venue traverse mon esprit. Posant sa main gauche sur le bas de ma tête, il lâche précipitamment : « Baisse la tête, je vais les poudrer » … « Tpfuu ! Tpfuu ! ». Deux détonations anesthésiées par un silencieux murmurent par-dessus mon épaule. Je relève la tête. De l’autre côté du Citroën, j’ai juste le temps de voir la fouine et le colosse s’effondrer, un troisième œil sanguinolent s’ouvrant désormais sur leur front respectif. Du travail de pro, le tonnerre gronde au loin, il nous faut décamper. Déjà, mon protecteur se précipite sur le plus long des deux corps. Quelques instants plus tard, à peine remis de la terrifiante émotion, notre convoi s’engage sur la route prenant la direction du sud. « On se débarrasse des colis puis direction le port de Biarritz. Repose-toi, la route va être un peu longue. Voilà pour toi. ». Je le regarde, incrédule. J’ouvre la serviette qu’il m’a remise. Un passeport et une simple page avec quelques mots surnagent sur des liasses de billets. Je parcours la note : on me préfère en vie, trop d’intérêts sont en jeu, un bateau m’attend au port-vieux. Bien qu’encore très noué, je parviens à sourire, picorant distraitement une barre de céréales. Oui, tout n’est pas perdu. Même si j’ai su rendre ma survie indispensable aux yeux de mes alliés, là, vraiment, il est temps de sortir du pré et de prendre le large !

 
 
Coincoins flingueurs !

Ici, la suite … Mis entre parenthèses



Ce texte n’est pas libre de droits.

:-)

Encore un peu de temps en liberté

 

Désir d'histoires

Désir d'histoires

Désir d’histoires no 60 et ses mots : myriade – vide – lundi – (saturnale)s – grenouille – bulle – icône – silencieuses – astuce – savoir-vivre – valise – étourderie – soif – plaine – kaléidoscope – (syndérèse) – fièvre – trottoir – renverser – paupière – surprise

Ici, les autres textes !

 

 

 

 

« Telles des aiguilles, les rayons du soleil transperçaient mes paupières pourtant lourdement fermées. Instinctivement, je me suis renversé sur le côté. J’avais les jambes mouillées jusqu’aux mollets, léché par les vagues. Le sable que je touchais du bout de mes doigts ne m’a alors laissé aucun doute. Je me réveillais sur une plage. Le son du ressac m’a donné la nausée. Mon estomac s’est contracté violemment, tous mes muscles l’ont suivi, un spasme de douleur m’a secoué le haut du corps. Laissant échapper un filet bileux à l’odeur et à l’acidité caractéristiques, le sable s’est mêlé à mes lèvres puis agrippé à ma langue rêche. Écorché, blessé, coupé, chaud, mon corps entier n’était qu’une plainte sourde. La fièvre s’était emparée de moi anéantissant par la même toute capacité à raisonner, à fonctionner. Je ne parvenais pas à éclaircir mes pensées, seulement capable de ne percevoir que le vide en moi et autour de moi. La luminosité trop forte m’a repoussé vers une première touffe de végétation exotique qui flirtait avec le bord de mer. Je me suis écroulé dans les hautes herbes, laissant la légère brise recouvrir mon corps endolori de son souffle apaisant… C’est à ce moment-là que ma conscience a de nouveau cédé à la volupté du néant… »

Voilà, ces quelques lignes résument les premières choses dont je suis capable de me rappeler de toute mon existence ! Avant ce réveil dans l’inconnu, tout est blanc. Comme si quelque entité supérieure avait fait un reformatage complet de ma personne. Plus aucune information me concernant personnellement ne me revient pour le moment. Où suis-je ? Que s’est-il passé ? M’attend-on quelque part ? Est-on en train de me chercher ? Déroutant, déboussolant. Je ne sais plus qui je suis ni d’où je viens. Je suis là, assis sur un frêle matelas de verdure, comme la grenouille au réveil sur son nénuphar séché cherchant à comprendre où est passée la Mare disparue pendant son sommeil. Cette remise à zéro de mon compte « vie » m’absout de toutes ces choses que j’ai pu faire dans le passé. Intervention divine ou résolution raisonnée, quoiqu’il en soit, toute syndérèse (*) devient aujourd’hui inutile. Sans plus aucun contexte social ou économique, je n’ai plus à me mesurer à des icônes inaccessibles, à respecter un quelconque savoir-vivre ou à être capable d’un savoir-faire. Je me retrouve dans cette bulle paradisiaque ne sachant pas ce que j’ai perdu ou peut-être gagné. Plus de lundi, plus de weekend, plus de gens qui font la gueule, plus de crottes à éviter sur le trottoir, plus de règles ni de contraintes à respecter. Toutes les réticences initiales m’interdisant le lâcher prise qui me taraudait depuis que j’ai émergé dans cette inespérée parenthèse sont devenues désormais silencieuses. Incroyable, il n’aura fallu que quelques jours pour que mon instinct prenne le dessus et se libère de tous mes clivages sociaux et intellectuels.

Comme au lendemain de dantesques saturnales (**), ma gorge, torturée par la soif que les maigres noix de coco n’épanchent guère, semble enchevêtrée dans un fil de fer barbelé. Mais je ne vais pas me plaindre, la mer a été bonne avec moi, elle semble veiller sur ma petite personne. A quelques brassées de là, au pied de la falaise se situant au couchant, elle a retenu dans ces rochers coupants une grande partie de ce qui semblait être un bateau de plaisance. J’ai pu y retrouver une cantine à peine endommagée pleine de victuailles, deux trousses de premier secours, quelques livres à peine abimés, des stylos, plusieurs cahiers vierges, un sac de vêtements qui semblent tous m’aller, une couverture de survie, une petite valise pleine à craquer de billets de banque… Avec un peu d’astuce, je vais pouvoir m’améliorer le quotidien avec tout ça. Je n’ai malheureusement réussi à mettre la main sur aucune indication nominative, ni temporelle. Mon premier sentiment est que j’étais seul sur ce bateau, probablement en quête de solitude et de recueil. Cherchant certainement à amarrer, la barre sous le vent, une étourderie de navigation m’aura amené à m’approcher trop près et à échouer sur ce lit de rochers à fleur d’eau. La corde de sécurité que j’ai retrouvé ne laisse aucun doute sur le fait que n’étant pas attaché, j’ai du voler par dessus bord. L’île paraît peu étendue, je reporte pour le moment toute expédition en son sein, une plaine semble s’ouvrir vers le levant, derrière l’épais mur de végétation dans lequel je me suis pour le moment réfugié.

Parfois, comme un film mal monté, certaines séquences d’une autre vie me reviennent. Explosés, saillants et surgissant de façon impromptue, ces souvenirs en kaléidoscope me déroutent me plongeant dans un état de béatitude profond. Je suis incapable de dire si ces douloureuses poussées proviennent d’un véritable vécu. Ce que je ressens assurément, c’est que tout mon être les repousse désormais. À ma grande surprise, une fois rasséréné, je ne me sens ni seul ni déprimé ni même en manque. Je prends la vie comme je respire, une bouffée d’air après l’autre. Il fait déjà très sombre maintenant, j’ai assez écrit pour cette première fois, mes doigts s’enraidissent encore très vite. Les nuits tombent vite sous cette latitude, je dois être proche de l’équateur. Le voile obscur des ténèbres à peine en place, c’est un nouveau spectacle de lumières qui commence. Là, assis face à la mer, les cheveux au gré du vent marin frais, je me laisse cerner par la myriade d’étoiles. Comme autant de points d’interrogation dans mon esprit, elles font scintiller de leur éclat énigmatique l’infini écrin voûté.

J’aime ma nouvelle existence d’être « réellement » vivant. Je ne scrute déjà plus autant l’horizon, fusée de détresse à la main. Je me surprends même à souhaiter qu’au moins pour un temps on m’oublie, qu’on me laisse encore un peu de temps en liberté.

Coincoins échoués

Ici, la suite … « Baisse la tête, je vais … »

 

(*) syndérèse : remords de conscience (référence : http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/synd%C3%A9r%C3%A8se/71767)

(**) saturnales : (référence : http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/saturnales)

Ce texte n’est pas libre de droits.

🙂