Encore un peu de temps en liberté

 

Désir d'histoires

Désir d'histoires

Désir d’histoires no 60 et ses mots : myriade – vide – lundi – (saturnale)s – grenouille – bulle – icône – silencieuses – astuce – savoir-vivre – valise – étourderie – soif – plaine – kaléidoscope – (syndérèse) – fièvre – trottoir – renverser – paupière – surprise

Ici, les autres textes !

 

 

 

 

« Telles des aiguilles, les rayons du soleil transperçaient mes paupières pourtant lourdement fermées. Instinctivement, je me suis renversé sur le côté. J’avais les jambes mouillées jusqu’aux mollets, léché par les vagues. Le sable que je touchais du bout de mes doigts ne m’a alors laissé aucun doute. Je me réveillais sur une plage. Le son du ressac m’a donné la nausée. Mon estomac s’est contracté violemment, tous mes muscles l’ont suivi, un spasme de douleur m’a secoué le haut du corps. Laissant échapper un filet bileux à l’odeur et à l’acidité caractéristiques, le sable s’est mêlé à mes lèvres puis agrippé à ma langue rêche. Écorché, blessé, coupé, chaud, mon corps entier n’était qu’une plainte sourde. La fièvre s’était emparée de moi anéantissant par la même toute capacité à raisonner, à fonctionner. Je ne parvenais pas à éclaircir mes pensées, seulement capable de ne percevoir que le vide en moi et autour de moi. La luminosité trop forte m’a repoussé vers une première touffe de végétation exotique qui flirtait avec le bord de mer. Je me suis écroulé dans les hautes herbes, laissant la légère brise recouvrir mon corps endolori de son souffle apaisant… C’est à ce moment-là que ma conscience a de nouveau cédé à la volupté du néant… »

Voilà, ces quelques lignes résument les premières choses dont je suis capable de me rappeler de toute mon existence ! Avant ce réveil dans l’inconnu, tout est blanc. Comme si quelque entité supérieure avait fait un reformatage complet de ma personne. Plus aucune information me concernant personnellement ne me revient pour le moment. Où suis-je ? Que s’est-il passé ? M’attend-on quelque part ? Est-on en train de me chercher ? Déroutant, déboussolant. Je ne sais plus qui je suis ni d’où je viens. Je suis là, assis sur un frêle matelas de verdure, comme la grenouille au réveil sur son nénuphar séché cherchant à comprendre où est passée la Mare disparue pendant son sommeil. Cette remise à zéro de mon compte « vie » m’absout de toutes ces choses que j’ai pu faire dans le passé. Intervention divine ou résolution raisonnée, quoiqu’il en soit, toute syndérèse (*) devient aujourd’hui inutile. Sans plus aucun contexte social ou économique, je n’ai plus à me mesurer à des icônes inaccessibles, à respecter un quelconque savoir-vivre ou à être capable d’un savoir-faire. Je me retrouve dans cette bulle paradisiaque ne sachant pas ce que j’ai perdu ou peut-être gagné. Plus de lundi, plus de weekend, plus de gens qui font la gueule, plus de crottes à éviter sur le trottoir, plus de règles ni de contraintes à respecter. Toutes les réticences initiales m’interdisant le lâcher prise qui me taraudait depuis que j’ai émergé dans cette inespérée parenthèse sont devenues désormais silencieuses. Incroyable, il n’aura fallu que quelques jours pour que mon instinct prenne le dessus et se libère de tous mes clivages sociaux et intellectuels.

Comme au lendemain de dantesques saturnales (**), ma gorge, torturée par la soif que les maigres noix de coco n’épanchent guère, semble enchevêtrée dans un fil de fer barbelé. Mais je ne vais pas me plaindre, la mer a été bonne avec moi, elle semble veiller sur ma petite personne. A quelques brassées de là, au pied de la falaise se situant au couchant, elle a retenu dans ces rochers coupants une grande partie de ce qui semblait être un bateau de plaisance. J’ai pu y retrouver une cantine à peine endommagée pleine de victuailles, deux trousses de premier secours, quelques livres à peine abimés, des stylos, plusieurs cahiers vierges, un sac de vêtements qui semblent tous m’aller, une couverture de survie, une petite valise pleine à craquer de billets de banque… Avec un peu d’astuce, je vais pouvoir m’améliorer le quotidien avec tout ça. Je n’ai malheureusement réussi à mettre la main sur aucune indication nominative, ni temporelle. Mon premier sentiment est que j’étais seul sur ce bateau, probablement en quête de solitude et de recueil. Cherchant certainement à amarrer, la barre sous le vent, une étourderie de navigation m’aura amené à m’approcher trop près et à échouer sur ce lit de rochers à fleur d’eau. La corde de sécurité que j’ai retrouvé ne laisse aucun doute sur le fait que n’étant pas attaché, j’ai du voler par dessus bord. L’île paraît peu étendue, je reporte pour le moment toute expédition en son sein, une plaine semble s’ouvrir vers le levant, derrière l’épais mur de végétation dans lequel je me suis pour le moment réfugié.

Parfois, comme un film mal monté, certaines séquences d’une autre vie me reviennent. Explosés, saillants et surgissant de façon impromptue, ces souvenirs en kaléidoscope me déroutent me plongeant dans un état de béatitude profond. Je suis incapable de dire si ces douloureuses poussées proviennent d’un véritable vécu. Ce que je ressens assurément, c’est que tout mon être les repousse désormais. À ma grande surprise, une fois rasséréné, je ne me sens ni seul ni déprimé ni même en manque. Je prends la vie comme je respire, une bouffée d’air après l’autre. Il fait déjà très sombre maintenant, j’ai assez écrit pour cette première fois, mes doigts s’enraidissent encore très vite. Les nuits tombent vite sous cette latitude, je dois être proche de l’équateur. Le voile obscur des ténèbres à peine en place, c’est un nouveau spectacle de lumières qui commence. Là, assis face à la mer, les cheveux au gré du vent marin frais, je me laisse cerner par la myriade d’étoiles. Comme autant de points d’interrogation dans mon esprit, elles font scintiller de leur éclat énigmatique l’infini écrin voûté.

J’aime ma nouvelle existence d’être « réellement » vivant. Je ne scrute déjà plus autant l’horizon, fusée de détresse à la main. Je me surprends même à souhaiter qu’au moins pour un temps on m’oublie, qu’on me laisse encore un peu de temps en liberté.

Coincoins échoués

Ici, la suite … « Baisse la tête, je vais … »

 

(*) syndérèse : remords de conscience (référence : http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/synd%C3%A9r%C3%A8se/71767)

(**) saturnales : (référence : http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/saturnales)

Ce texte n’est pas libre de droits.

🙂

 

 

46 réflexions sur « Encore un peu de temps en liberté »

  1. Ping : Jus de pommes | Désir d'histoires

  2. Il y a vraiment de très jolies phrases à savourer, d’autres qui font réfléchir.
    « Je prends la vie comme je respire…  » me laisse songeuse, y arrivons-nous ?

  3. Voilà une renaissance appaisée qui fait rêver… même si contrairement au héros, je ne peux vivre dans la solitude… On se laisse complètement prendre dans ce naufrage qui finalement n’en est pas vraiment un…. Un beau voyage !

  4. Pour moi c’est la remise à zéro de mon compte vie qui me tracasse… Tout effacer mais pas tout recommencer ! La vie est déjà si longue, tu nous vois supporter 2 foix 99 ans ! Je n’en ai pas le courage !
    Un beau texte, à réfléchir… Qui parle ? l’âme, le subconscient… Est-ce là les portes de la mort, il paraît que c’est effrayant…
    Bon we, repose-toi les méninges, va prendre l’air, El Canardo, tu me sembles un peu perdu…
    Soène Articles récents..Des mots, une histoire 60My Profile

  5. Bonsoir,

    Un texte qui interpelle sur une résurrection, quel soit réelle ou virtuel… recommencer une nouvelle vie… pas aussi simple que cela.
    Bonne fin de semaine
    @ plus

  6. une sorte de rêve, tout recommencer, libérés « des clivages sociaux et intellectuels »… oui, moi ça me fait plutôt rêver, dans l’univers que tu décris, tout est possible, expérimenter une autre façon d’utiliser son compte « vie »… mais quels sont les carcans dans lesquels on retomberait (ou pas)?
    bises et bon week end!

  7. Après avoir lu ton, texte, je me dis que j’ai fait dans la facilité :D. Un peu angoissant oènequand même … Tout recommencer ? Je ne suis pas aussi optimiste que Soène (99 ans ! quand même). Quoique Lilibet …

    • Ben sans y avoir vraiment réfléchi, le personnage semble s’être embarqué pour une virée en solitaire… son voyage se poursuit (avec presuqe tout son chargement) sauf qu’il ne bougera plus beaucoup.. sinon sur cette île et dans ses pensées !

      Coincoins insulaires
      Angel Articles récents..Promenons nous dans les boisMy Profile

    • haha…. Oui j’aime bien faire des allers-retours entre l’introspection profonde et pensées pratiques quand je manipule (torture) les pensées de mes personnages. Cela les rend vivants et leur donne de la consistance… non ? 😉

      Coincoins consistants
      Angel Articles récents..Promenons nous dans les boisMy Profile

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  11. Ping : Prisonnier des eaux | elcanard@ne

  12. Étant donné que c’est la première fois que je viens barboter par chez toi, je prends l’histoire du début et j’ai tout simplement adoré ta façon d’écrire !
    Cette valise remplie de billet ne m’annonce rien de bon… Ton héros risque de découvrir des choses déplaisantes sur lui même quand sa mémoire va lui revenir.
    L’avantage d’arriver à la bourre, c’est que je vais pouvoir savoir la suite rapidement ! 😀
    Shirshasana Articles récents..Des mots, une histoire 63My Profile

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  16. Ping : Refaire surface | elcanard@ne

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