Désir d’histoires no 67 avec 18 mots sélectionnés sur le volet par notre talentueuse hôtesse Olivia :
versatile – hétaïre – uniforme – vêtement – cloque – jaunissant – démagogue – manne – goguenard – tablette – illusion – forteresse – confident – griser – manchette – occupation – orée – sonnette.
Les autres textes, ICI.
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Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
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Les épisodes précédents :
- Encore un peu de temps en liberté… (Désir d’Histoires no 60) : à l’instant présent, réveil d’un personnage « coincé » sur une île et coincé dans ses souvenirs.
- « Baisse la tête, je vais… » (Les Plumes de l’Année en lettre P) : dans un passé à peine passé (du moins semble t-il…), ce même personnage se retrouve en train de courir, pourchassé mais guidé, il fonce … tête baissée.. gare …
- Mis entre parenthèses (Désir d’Histoires no 61) : Suite à son rêve teinté de réalité, le héros revient à lui, toujours « coincé » sur son île. Inquiet, il décide d’explorer les environs et fait une troublante découverte.
- Brûler les traces (Désir d’Histoires no 62) : Retour vers le passé pour partager le début de ce qui s’annonce être une traversée d’est en ouest de la France. Mais avant tout, il s’agit de faire un peu le ménage
- Prisonnier des eaux (Désir d’Histoires no 63) : Enquête sur l’origine des empreintes découvertes sur l’île dans un décor qui tourne au cauchemar climatique, Nathan obtient la confirmation de cette présence et recouvre peu à peu la mémoire
- Courte transition (Désir d’Histoires no 64) : Halte dans un bistrot en « banlieue nancéenne », le temps de se préparer pour la suite de la virée qui doit mener l’équipée au port de Biarritz.
- Double dose (Désir d’Histoires no 65 & 66) : Dur réveil au présent en fond de cale et en dangereuse compagnie pour une réunion de tous les protagonistes…
La tension monte et la menace se précise. Entre interrogatoire-torture en fond de cale au présent et plongée étourdissante dans sa réalité oubliée, Nathan s’engage dans une nouvelle course : jusqu’au bout de lui-même ?
« Tu ne le sais sûrement pas encore, mais je suis délicieusement persuadée que tu vas vite BRÛLER d’impatience de te confier à moi !!!».
Susurrés à mon oreille… ces mots vrillent et tourbillonnent … comme du venin craché entre deux crochets acérés que je ne peux m’empêcher d’associer à ces deux sbires musclés qui m’encadrent ici. Impatient et inquiet, baveux de rage, je me tends de nouveau désespérément, animé par la vaine illusion de distendre les liens qui me retiennent. Cette nouvelle tentative inutile ne déclenche que petits sourires et ricanements étouffés. Goguenards et hilares, ils m’observent. Pour commencer, ils ne me poseront certainement aucune question. Je le sais, je le sens. Leur style, c’est de d’abord rendre tangible la menace puis les questions viendront. Et c’est sur cette pensée que la démonstration commence. Elle, elle me rappelle Phryné(*), la célèbre hétaïre grecque, dont le surnom signifie littéralement « crapaud » qu’elle devait à son teint jaunissant, ma maléfique hôtesse a donc vendu ses précieux et redoutables services. De son regard glacée, elle désigne Wens puis d’un geste rapide indique sans équivoque ce qu’elle souhaite. Le colosse blond pousse mon complice contre la paroi et le force à se mettre à genoux. À peine grimaçant, celui-ci défie de son regard perçant l’infranchissable montagne de muscles qui se tient devant lui, tout proche, tel un confident, prêt à recevoir la confession. Dans un souffle imperceptible, quelques mots, certainement pas démagogues, s’échappent des lèvres serrées de l’agenouillé. La réaction ne se fait pas attendre. Malgré le très court élan pris avec son bras droit, l’homme de main ne retient pas son coup et délivre là une manchette digne des grandes heures du catch. La violence de l’impact est telle que mon pauvre garde du corps en est soulevé puis projeté en arrière pulvérisant une tablette en bois mité appuyée contre le mur. Enfin, un cri incroyable, comme contenu jusque là, déchire la tension palpable.
À la surprise générale, c’est la grosse brute, la forteresse bodybuildée, qui vient de s’effondrer, dans une longue et grave plainte, tout le haut du corps débraillé, se cramponnant à son avant-bras. Son acolyte « petit format » se précipite sur la victime, la redresse et se tourne vers sa maîtresse, incrédule. Bien que balancé par cette force inouïe, comme une vulgaire chaussette sale, Wens semble indemne.. Néanmoins, la blessure de son agresseur semble sérieuse et bien réelle. Le sang qui tâche inexorablement la chemise ne laisse aucun doute : plaie profonde ouverte ou pire encore, fracture ouverte. Effarant ! Face à la tournure inattendue des évènements, comme grisé par cette véritable manne d’espoir, je laisse échapper un petit rire hystérique. Décontenancée et vexée, et profitant de ma tête basculée en arrière, la « Phryné » au teint d’ébène me saisit à la gorge et me renverse brutalement. Elle attrape son vieux chiffon imbibé de cette matière hautement inflammable avec laquelle elle me menaçait (voir épisode précédent no 7) et me colle ce vieux reste d’uniforme sur le visage. L’effroi m’envahit, je m’étouffe. J’essaie de déglutir, puis recrache vainement le liquide immonde qui me coule dans la bouche. Je m’imagine en train de me débattre mais mes membres attachés restent immobiles. À travers ce masque puant, je la perçois, elle se fige. Elle se ravise et finalement place son bout de tissu sur le dessus de mon tibia droit, à même la vieille toile qui me sert de pantalon. Mes yeux noircis me cuisent, retournés à vif et à sang dans leur orbite par l’irritante mixture. Je n’ai pas le temps de réaliser le danger que je perçois le bruit caractéristique de la roulette du briquet. L’inflammation instantanée mêlant le vêtement carbonisé à la fine pellicule de peau provoque en moi une atroce et aveuglante douleur. Je perds pied, repoussant l’ignoble réalité … sous son regard vainqueur, noir de rapace infatigable et impitoyable. Je revois ce regard dans le rétroviseur, l’image renaît en moi (voir épisode 6). Notre véhicule accélère, tentant d’échapper à sa poursuivante. Le moteur vrombit, dévore l’asphalte qui (se) défile. Mon chauffeur au stetson sombre vissé sur le crâne passe les vitesses et enchaîne les virages à une cadence infernale. Le vertige me cloue dans le siège, les souvenirs reviennent, affluent, là maintenant, à la limite de la défaillance, comme alimentés par un besoin de garder le contact. Et là, maintenant que l’occupation totale de mes pensées semble enfin pouvoir se dédier à tout ce qui s’est passé, un élancement infernal dans la jambe me secoue à nouveau. Comme on se jette sur la main d’une personne qui se noie, elle empoigne violemment mon membre calciné sur lequel les cloques commencent à poindre, et elle me ressuscite dans l’instant présent que je voudrais désormais fuir.
Ma raison me la joue versatile…à l’orée de la folie pure, entre l’insoutenable douleur du présent et le vertige abyssal du passé qui maintenant s’abat sur moi à grande vitesse. Cette partie de cache-cache avec moi-même me tient entre deux eaux. Remonté à la surface, réanimé par cette odeur nauséabonde de chair brûlée, la mienne, c’est cette sonnette malodorante qui me réveille, me ramène… Cette torture mal orchestrée est le traitement de choc me plongeant malgré moi dans les gouffres de ma mémoire pour la ranimer. Mais à quoi bon maintenant ? Pour l’offrir toute entière dans un magnifique paquet cadeau au lacet doré à mes ennemis abrutis par le désir de vengeance ? … Je ne peux m’y résoudre.
Coincoins cramés !
La suite… ici -> Refaire surface
(*) Phryné : (en grec ancien Φρύνη / Phrýnê, littéralement « crapaud », surnom donné à cause de son teint jaunâtre) est une hétaïre grecque célèbre du IVe siècle av. J.-C.
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