Voici ma contribution « poussive » au jeu Des mots, une histoire. Les mots récoltés pour l’édition 51 sont : guide – retour – nuit – couleur – dédicace – clé – cinéma – rocher – brouillard – étoile – orthodromie – exceptionnel – cascade – oublier – nacelle – sensualité – résolution – graphe – ivresse – galette – tintamarre – impensable.
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« Bonjour
Je ne m’étalerai guère sur ma propre personne en ces lignes, je ne serai pas plus prolixe non plus sur les circonstances qui m’amènent à m’adresser à vous. Cela ne fait pas partie du deal. Disons que mon propos doit simplement me rappeler à votre bon souvenir tout en permettant de me faire un peu oublier par l’Autre. Ainsi, Il me laissera tranquille quelques temps. Il est vrai que sans moi, Il ne serait rien, alors que moi, sans lui … Cela serait sans aucun doute une autre histoire…
Souvent désigné comme le malin, on dit de moi que je n’existe pas, certains me disent un ancien ange jaloux de votre Dieu que je me décidai à trahir il y a bien longtemps de cela, d’autres enfin se contentent de me craindre tout en s’en remettant à Lui, le tout puissant. Aucun ne prendrait le risque de me haïr, cela est tout simplement impensable et, ma foi, que leur Créateur les en préserve… Moi, je me vois comme le gardien d’un certain équilibre, un faire-valoir de luxe, le garant de la pérennité d’un système qui aurait tendance à gripper de plus en plus. Par mes actes et mon exceptionnelle efficacité, mes graphes de performance parlent d’eux-mêmes, je permets à l’Être Suprême de tenir à flot son fonds de commerce. « Alléluia », je suis là. Mais, laissez moi me divertir un peu en vous contant une petite histoire…
La vie n’est pas un rêve. Mais, rêver peut être un bon moyen de réaliser sa vie. Matilda en avait toujours été convaincue. L’espoir, plus que de la faire vivre, lui avait inspiré ce que devrait être toute sa vie. Sa vocation, pensait-elle, était de chanter et de jouer la comédie. Pour moi, ce ne furent que des points faibles, des points d’accroche pour mes serres affûtées. Elle rêvait de voir sa petite bobine s’étaler en 4 mètres sur 3 sur les affiches de cinéma et de gala. Joli petit brin de femme, non dénuée de sensualité, elle finit par céder au chant des sirènes de la grande ville. Abandonnant ainsi ses premières illusions innocentes, elle quitta donc définitivement Saint-Antoine-du-Rocher. Je devinai déjà alors une potentielle proie. Une de plus. Il me fallait encore patienter, sa dévotion n’était alors qu’émoussée. Bientôt peut-être, finirait-elle par me quérir.
Le tintamarre permanent qu’allait devenir son existence me servit grandement. De bals populaires où elle s’époumonait aux castings louches où elle ne faisait qu’exciter des convoitises malsaines, elle épuisait son ambition . A chacun de ses appels de détresse, le Ciel restait sourd tout en suscitant de plus en plus mon intérêt. Ses pensées noircirent alors, le bien ne combat jamais le mal, il ne fait que céder la place lorsque la conviction s’envole. La clé venait de s’engager irrémédiablement dans le verrou qui me séparait encore d’elle. Le désespoir total, la crasse humaine et l’ivresse nauséabonde nocturne des bas quartiers où elle s’usait toutes les nuits eurent raison d’elle et de sa foi. D’utile, j’étais devenu inéluctable. De bonne étoile il n’était plus question, Matilda avait perdu tout espoir. Après de nombreux errements et questionnements, elle finit donc par m’invoquer. Innocemment tout d’abord, sous l’influence d’une quelconque drogue ou alcool, je ne me souviens plus mais elle s’enhardit bientôt : l’orthodromie la menant de sa misérable existence jusqu’au sommet de ses rêves les plus insensés était devenue limpide. Elle m’était dès lors totalement dévouée.
Bien tristement, je n’eus guère d’ouvrage. Dorénavant son guide élu, je me contentai de simples suggestions. Par un léger souffle chaud sur les cendres de ses certitudes, je balayais sa conscience créant ainsi le brouillard qui allait définitivement lui dérober son existence. Le ménage ainsi fait, le manège n’eut plus qu’à accélérer, lui donnant le tournis. De mauvais choix en mauvaises fréquentations, d’obscénités en extravagances, la route vers la gloire semblait pouvoir tout traverser. A ses yeux empoussiérés, tout se justifiait désormais. L’ascension ne pouvait être que fulgurante. En fait, bien malgré elle, elle venait d’emprunter le chemin de la perdition. L’exilée à l’ambition retrouvée ne voulait plus une simple part du gâteau, c’est toute la galette qu’elle convoitait et pour ça, tout était permis. Elle deviendrait la plus brillante, la plus désirée. celle que tout le monde allait contempler et adorer. Très vite, elle allait être la personne la plus en vue du moment, tout en devenant une parfaite étrangère pour elle-même et les rares personnes de son entourage proche. Même les médias jusqu’alors très frileux à son style suivaient. Ma petite poussette dans le dos avait eu raison de toutes ses résolutions. Plus aucune barrière ne pouvait la freiner. Tant est si bien que lorsque elle atteignit la limite de la raison, attribut diablement humain, elle n’en eut aucunement conscience. Alcools, hommes et cascades de coke firent en quelques mois les dégâts nécessaires afin que Matilda soit définitivement condamnée. Un soir, secouée par d’infernales hallucinations, elle s’effondra abandonnée par ses forces. Le nez une fois de trop enfariné heurta lourdement le sol luxueusement marbré du plus bel effet. Elle expira une dernière fois, persuadée que la douleur serait moindre juste après. Effectivement, cela fut sa dernière préoccupation de son vivant. Je libérai son coeur que je venais d’enserrer et pris alors enfin le relai.
« Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné » disent vos textes sacrés. Votre époque me simplifie dramatiquement la tâche. Ce besoin irrépressible de posséder à l’infini occulte désormais tout le reste. Un jour ou l’autre, vous serez tenté de m’invoquer, découragé par votre quotidien sans saveur ni couleur. Je vous invite à ce moment-là à bien réfléchir car, par une simple dédicace morale ou sanguine, je pourrais alors vous faire monter dans ma diabolique nacelle. Par l’entremise de quelques babioles et subterfuges bien terriens, vous seriez alors ma totale et indiscutable propriété. Puis, tranquillement, sans plus aucun retour possible, et au moment qui me sied le plus, j’intervertirais les lettres de votre Vie vous faisant définitivement trébucher dans mon Antre et tout comme MATILDA, vous deviendriez MALDITA (*).
Votre dévoué S.«
Coincoins patients
(*) maldita = maudite … en espagnol
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