(source enviro2b.com)
Désir d'histoires
Et voici le « désir d’histoires no 62 » dont voici la liste des mots (22 au total, donc n’en déplaise à Soène, tous sont à reprendre dans le texte 😉 ) : immédiateté – assiette – création – café – peau – trille – absence – bergamote – confiance – peigne – hermétique – insouciance – facile – tristesse – sourire – diable – déception – labyrinthe – sang – coincidence – chavirer – connexion.
Les autres textes ici !
–
Avertissement : Ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
–
Les épisodes précédents :
- « Encore un peu de temps en liberté… » (Désir d’Histoires no 60) : à l’instant présent, réveil d’un personnage « coincé » sur une île et coincé dans ses souvenirs.
- « Baisse la tête, je vais… » (Les Plumes de l’Année en lettre P) : dans un passé à peine passé (du moins semble t-il…), ce même personnage se retrouve en train de courir, pourchassé mais guidé, il fonce … tête baissée.. gare …
- « Mis entre parenthèses » (Désir d’Histoires no 62) : Suite à son rêve teinté de réalité, le héros revient à lui, toujours « coincé » sur son île. Inquiet, il décide d’explorer les environs et fait une troublante découverte.
Retour dans ce passé récent, à nouveau en compagnie du garnement financier et de son sauveur « dératiseur », tous deux toujours en cavale :
Quelque part entre Luxembourg et Biarritz …
Non, je n’ai pas encore chaviré de fatigue dans un sommeil profond. Malgré la dépense d’énergie et le stress de la course poursuite à travers les champs du pays, il m’est impossible de sombrer. L’ étouffante inquiétude intensifie encore plus les battements de mon palpitant qui ne connaît désormais que la cadence infernale d’un trille infini. Mon mystérieux compagnon, silencieux, est concentré sur la route en quête d’éventuels poursuivants. Il semble embrasser du regard tout ce qui nous entoure. Les yeux mi-clos je m’essaie à le détailler un peu plus. L’immédiateté et l’efficacité de ses réactions lorsque ma propre vie a été menacée me donnent à penser que mon « dératiseur » est un professionnel. Il n’a pas décroché une syllabe depuis qu’il a prononcé le « Go » du départ. Visage fermé, empreint peut-être d’une certaine tristesse, la peau à peine égratignée par le temps, il m’apparaît totalement hermétique. Il a juste ôté son chapeau avant de démarrer, ses gestes sont précis et toujours appropriés. Jusque dans son coup de peigne qu’il s’est autorisé avant de mettre le contact, il va à l’essentiel. La rapidité et la discrétion avec lesquelles il a emballé les corps des deux baltringues pour leur dernier voyage tout en veillant à ne laisser aucune trace me le confirment. Il est certainement un de ces hommes de confiance, un intervenant de l’ombre, dont on loue les services pour les tâches ingrates. Trop d’intérêts sont en jeu pour que cela ne soit qu’une simple coïncidence, il n’a certainement pas été choisi par hasard. Ma propre existence ne tient plus qu’à un fil.
Ce fil de ma propre création prévoit une issue de secours, à peine plus large qu’un vide-ordures certes mais après tout, ce qui compte, c’est que la place soit suffisante pour me permettre de disparaître. Il y a huit mois de cela, j’ai été contacté par d’importants commanditaires afin de réaliser pour eux un certain nombre d’opérations de « nettoyage ». Étant données les sommes annoncées, j’ai vraiment mis le paquet sur ce coup-ci. Les financements plus ou moins occultes que j’ai « sollicités » laissent peu de traces et celles qui subsistent vont à terme se fondre aux nombreuses autres générées par des financements réputés sains. Profitant de l’insouciance générale dont font preuve les marchés en manque croissant de capitaux, j’ai pu user facilement de toutes les connexions nécessaires. Tel Dédale oeuvrant pour Minos afin d’enfermer le Minotaure, j’ai savamment constitué mon petit labyrinthe(*) bancaire pour mes précieux « partenaires » préservant ainsi leur pécule de tout adversaire mal intentionné.
« J’espère que tu comprendras qu’avant qu’on ne parvienne à destination, il va falloir à ton tour me donner quelque chose ! ». Ses lèvres avaient à peine bougé et ses yeux, sans cligner, n’ont pas quitté un seul instant la route. Ses mots m’ont tiré de la torpeur dans laquelle mes pensées m’avaient enveloppé. Je n’ai pas réussi à contenir un tressaillement. Ma survie contre mon « fil d’Ariane » (**), voilà donc quel était l’enjeu. Ils savent qu’au passage je me suis laissé tenter par le diable et que je me suis servi plus que de raison. Je devine un léger sourire. Monsieur CLEAN WENS, comme le dénomment les lettres à la couleur rouge sang floquées sur la porte arrière du véhicule, peut donc ressentir quelques émotions. Après avoir contourné les grilles imposantes d’un site industriel, nous voici devant ce qui semble être une entrée secondaire. Un panneau annonce sommairement : « UIOM DE Ludres (Nancy) – Incinération de déchets avec valorisation énergétique ». On ralentit puis on s’immobilise. «Tu vois le petit troquet « Du côté de la Bergamote » derrière nous ? ». J’acquiesce. Il me donne un sac de fringues et un thermos. Puis, il pose la main sur son flingue et poursuit : « Je t’y rejoins dans vingt minutes tout au plus. Profites en pour te changer, fais le plein de café et commande deux assiettes du jour à emporter. Moi, j’ai un peu de ménage à faire puis je serai tout à toi. Si l’idée saugrenue de te carapater te venait, rappelle-toi, M. Nathan Ribera, que je t’ai déjà trouvé une fois. Et, au-delà de la profonde déception que je pourrais ressentir, je me verrais dans l’obligation de … ». Et de ponctuer sa phrase en tapotant doucement son arme. Sa façon de bien articuler mon identité me fait frissonner. Il ne plaisante pas, je devine même une lueur de plaisir dans son regard. En tout cas, j’ai mon explication quant à notre petit détour en terre nancéenne. Me voilà face à la grande cheminée de l’incinérateur. La fumée opaque qui s’en échappe bave une longue traînée sale sur l’horizon dégagé de cette journée finissante. Le portail s’ouvre doucement et la voiture pénètre lentement dans l’enceinte. Déjà, quelqu’un se précipite et ouvre la portière commençant à dégager le premier « paquet ». Je trésaillis, incapable de contenir une glaciale sensation d’effroi. Etrange à quel point la mort d’un autre vous ramène inévitablement à votre propre vie. Tout paraît alors si éphémère.
Coincoins en fumée…
Ici la suite … Prisonnier des eaux
(*) L’étymologie de ce mot reste incertaine. Il désigne dans la mythologie grecque une série complexe de galeries construites par Dédale pour enfermer le Minotaure.
(**)Dédale donna la solution pour sortir du labyrinthe à Ariane : utiliser un fil de laine déroulé, qu’il suffit de suivre jusqu’à la sortie. Cette dernière remit la laine à Thésée, qui s’en servit pour sortir du labyrinthe après avoir tué le Minotaure.
Ce texte n’est pas libre de droits.