A la recherche de Sophie !

 

Je passais un week end paisible dans la magnifique ville de Barcelone il y a une dizaine de jours. En toutes périodes de l’année, la merveilleuse cité foisonne de touristes. Alors que je déambulais nonchalamment entre les petites maisonnettes du marché des artisans sur les Ramblas, un vent de panique se mit à souffler. Entre incompréhension et précipitation, les moments qui suivirent cédèrent à la confusion totale. Tant bien que mal, je saisis au vol les mots qui fusaient parmi les cris et les sanglots. Un troupeau de girafes géantes venait d’investir le port marchand de la superbe capitale de la Catalogne. Les dockers et plaisanciers présents sur les lieux étaient en train d’être évacués manu militari…

Sans vraiment réfléchir, je courus au bout du quai de la compagnie des Golondrinas à quelques centaines de mètres de là. Une de leurs navettes s’apprêtait à larguer les amarres. Au milieu de l’excitation générale, une poignée de personnes (journalistes ? vétérinaires ? sidérurgistes ?) avait pris d’assaut l’embarcation désuète. Appareil photo en main, il sembla évident que j’étais l’un des leurs et à ma grande surprise, on me tendit rapidement une main très solidaire que je saisis sans aucune hésitation.

Quelques instants après, la statue de Christophe Colomb qui surplombe le port était déjà à un demi miles nautique. La tension était palpable bien sûr mais la curiosité l’emportait sur tout autre sentiment. Notre commandant de (in)fortune manoeuvrait très efficacement, il ne s’encombrait aucunement à respecter la route nautique officielle, voie maritime usuellement empruntée par ces petites navettes touristiques qui permettent de visiter ce lieu gigantesque qu’est le port industriel de Barcelone. Croisant au plus pressée entre les bateaux de croisière et les yachts en cours de rénovation/entretien, notre embarcation touchait au but. Dans un anglais très approximatif, l’en d’entre nous s’écria : « it’s happening behind the next pier ». Les téléphones et appareils photo de toute espèce s’allumèrent et se règlèrent. Un immense bâtiment nous séparait encore de notre destination. Dans très peu de temps, sans me douter de l’incroyable évènement qui allait se produire, j’allais faire la rencontre improbable des proches de ma « petite » Sophie en quête de la jeune disparue !

A tribord, l’horizon se débarrassait de l’entrepôt…Un brouhaha métallique se faisait désormais très présent. Et là, enfin, ….. elles apparurent… Elles se dressaient entre nous et le soleil couchant sur la colline de Montjuic… patchwork de couleurs douces de savane africaine en terre espagnole… Immenses, paisibles, mes créatures étaient là !

 

 

 

 

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Elle y croit dur comme fer !

Dans les nuages

Dans les nuages

Ereintée..elle s’arrête quelques instants au sommet de la montagne. Les ongles empoussiérés accrochent les rares herbes séchées et le relief désormais escarpé. Le parfum léger qui se dégage de l’endroit la réconforte. Elle écarte légèrement les pattes, elle se penche et laisse traîner sa gueule lascivement à quelques centimètres de l’aride sol. Sa longue langue (un jour celle-ci pourrait atteindre 70 centimètres tout de même !!), si longue qu’elle parvient même à atteindre ses oreilles avec (!), atteint sans peine un bouquet sec, très sec… Plus de tendres feuilles aux cimes des arbres, même les acacias et leurs fourmis si agressives si peu accueillants en temps habituel lui manquent terriblement. Jeunes pousses, feuilles tendres, ramilles ou épines fraîchement écloses, écorces, fruits d’arbres et plantes grimpantes ou rampantes…tout semble avoir été éradiqué.

Les muscles de ses pattes tendues montrent des signes de faiblesse. Elle tremble. Elle ne pourra plus continuer comme cela trop longtemps. Son coeur de plusieurs kilos bat la chamade, affolante journée, épuisante escapade. Trop longue journée, les nuages encore hors de portée, notre amie, Sophie pour les intimes, mastique péniblement. Elle ne pense qu’à une seule chose : avoir « la tête dans les nuages ». Petite et curieuse, elle admire souvent les mâles les plus puissants et les plus hauts de tout le regroupement. Elle se glisse parmi eux, et là, en sécurité, elle écoute attentivement leurs discussions en salon privé à plusieurs mètres au dessus de sa tête. Ils partagent leurs expériences, parlent de leurs craintes, de leurs rêves. « La tête dans les nuages » immédiatement attirée par le ton inhabituel de la conversation, Sophie prête attention. L’un d’entre eux se plaint d’avoir toujours « la tête dans les nuages ». « Quelle folie » s’empresse de réagir son auditoire incrédule et nerveux, « Quel danger avec tous ces félins qui rôdent, assoiffés et affamés, désespérés souvent ! ». « Oui mais…quel bonheur ! » leur a t-il répondu. Et là, il reprend le cours de son propos.. Il n’y peut rien, cela lui arrive si souvent. Quand sa tête y est, là-haut, il laisse alors son esprit vagabonder, il quitte son haut et pataud corps… « Pataud » répète-il, soulignant ce mot par le geste en soulevant alors sa patte engluée de vase verdâtre. L’endroit dans les nuages semble être fabuleux, tout y est léger, merveilleux, cotonneux, MAGIQUE. Finis la poussière, la chaleur, la sécheresse, la soif, la faim. Les mots du mâle distrait s’envolent… doucement, ses paroles deviennent inaudibles. Le paradis pour les girafes, c’est sans aucun doute de parvenir à mettre sa tête dans les nuages.

Depuis cette soirée-là, Sophie y pense en permanence. Elle doit, elle aussi, découvrir cet endroit. En peu de temps, ce rêve est devenu omniprésent. Elle va pourtant cesser rapidement de poser ses questions autour d’elle. Elles ne provoquent au mieux que de l’indifférence, au pire de l’agacement voire de l’énervement. « Veux-tu bien cesser, petite écervelée ? Tout le monde se moque de toi, de nous. Es-tu devenue folle ? » : ce sont les derniers mots de maman sur le sujet. La girafone n’en a plus dormi pendant plusieurs nuits. Jamais maman n’avait si durement sermonné sa petite chérie. Oui mais voilà..cela l’obsède réellement désormais. Elle voudrait très vite être plus grande, elle se nourrit au mieux, galope dès qu’elle le peut pour se muscler. Elle grandit certes, mais cela ne suffit pas, cela ne va pas assez vite. Comment être à la hauteur ?

Et ce matin même, la réponse lui vient enfin, clairement, évidemment. A l’aurore, un rayon de soleil lui a fait tourner la tête en direction de l’imposante sierra qui se tient au loin. Majestueuse, couronnée de son anneau de nuages, le paradis est là.

A peine quelques secondes plus tard, Sophie s’est écartée du groupe. Elle ne veut plus attendre. Elle est une grande depuis quelques mois. C’est maman qui le dit, apparemment heureuse que sa petite ne la tête plus. L’effort a été rude, échapper à l’attention générale nécessite rapidité et précision. Et puis, courir, sans se retourner, plusieurs heures durant face à la montagne, ne pas lâcher le cap, la voir s’approcher et enfin, impatiente, commencer l’ascension. Désormais, la voilà presque à la hauteur des nuages qui se sont dans le même temps abaissés. Le vent est présent. Chaque pas la rapproche. La brume lèche de plus en plus goulument le haut des plus grands arbres sur ce flanc. Encore quelques efforts, le rêve est enfin à sa portée, son beau pelage acajou brillant savamment découpé en larges polygones réguliers sera remplacé tout bientôt par une douce et chatoyante robe nuageuse. « La tête dans les nuages »… De nature pourtant très silencieuse, elle ne peut s’empêcher de laisser échapper un cri ou plutôt un bèlement. « Pourquoi se contenter de n’y mettre que la tête ? Je veux y courir, moi ! ». Elle avale enfin la grosse bouchée qu’elle mastique consciencieusement depuis le début de ces quelques lignes. Loin d’être rassasiée, mais des illusions à satiété, elle s’élance !

Plus que quelques mètres… La brume s’avance… Sophie court maintenant à sa rencontre. Elle va très vite, trop vite ! Ce que Sophie ne sait pas, c’est que derrière la barrière brumeuse, un trou béant l’attend. Imposant, il s’enfonce sur des centaines de mètres dans les entrailles rocailleuses. Plus que quelques mètres…

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Sophie la girafe

Sophie la girafe

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La face cachée…

 

Il ne se reconnait plus.

Le regard se pose au loin. Le miroir s’embue. Qui est-il ? Ou plutôt qui est-il devenu ? Il ne se reconnaît plus. L’âge peut être… Jamais un mot plus haut que l’autre avec ses clients. 22 ans de démarchages en tout genre, 22 ans de routes interminables à déambuler dans les villages, les lieux-dits, 22 ans de « bons et loyaux » services dans quelques semaines… et jamais un différend, jamais « avoir maille à partir » comme disait môman. « Maille à partir », cela le fait sourire. Comme pour un long et difficile tricot, il s’évertue, maille après maille, à ne jamais trop serrer, ne jamais décaler, ne jamais sauter : dans ce métier, il n’y a pas de raccourci, pas de prise facile. Jusqu’au dernier mot, jusqu’à la dernière poignée de main, rien n’est jamais acquis. Alors, depuis 22 ans, il se contrôle. Il inspire par les poumons, expire en vidant son ventre, et rythme tout doucement l’ensemble. Les gestes brusques et les familiarités sont proscrits, les yeux fuyants sont bannis. Pour le reste, une tenue humaine et vestimentaire exemptes de tout reproche sont exigés. Comme le médecin, il évite de rentrer dans les détails de la vie intime tout en laissant ses « patients » aller assez loin. Ce n’est pas bon pour les affaires que de faire du sentiment. Avoir des états d’âmes serait une erreur de calcul qu’il ne peut pas se permettre. De la distance et de la méthode, voilà la recette. Certes, tout est dans le paraître mais qu’importe. La « faim » justifie les moyens et la feuille de salaire à la fin du mois ne connait pas d’erreurs de calcul.

Depuis trop longtemps, ce contrôle de lui-même le bouffe. Il ferme les yeux sur tellement de choses. Depuis quelques semaines, une colère sourde gronde douloureusement en lui. Les maux d’estomac sont devenus de plus en plus violents. « Des vrais coups de perceuse » avait-il clamé au pharmacien. Aujourd’hui, c’est un tunnelier qui oeuvre en lui…et qui le vide inexorablement. Lui, toujours si propre sur lui, si fier de sa prestance, le voilà cloué depuis plus de deux heures sur ces toilettes. De sa place d’infortune, porte entrouverte, il lorgne sur le vieux dessus de lit. La petite chambre est plongée dans la pénombre désormais. Il contemple sa veste jetée précipitamment par terre. Depuis, il a pu se débarrasser de ses chaussures, de sa chemise, de son pantalon, de ses chaussettes. Il ne se rappelle plus dans quel ordre d’ailleurs. Il sourit. Striptease sur les toilettes. Il végète dans un état second. Et pourtant, sa perception de la scène reste fine, cocasse même. Au son qui gargouille à travers la cloison, il devine qu’il est bien tard, le journal de la nuit vient de commencer. Oh oui, au moins deux heures qu’il est là. Couvert de sueur et pris sporadiquement de frissons, cela ne se calme pas. Il ressasse encore et encore sa vie. Toutes ces phrases, tous ces mots. Convaincre, rassurer… Tout est dans le paraître. Ne jamais « être » vrai. Décaler, se décaler..pour être en harmonie avec sa cible. Laisser percevoir le bon reflet, faire briller les meilleurs reflets du miroir aux alouettes…

Il ne se reconnait vraiment plus. Il n’y arrive plus. Il sait, il sent, il comprend. Il faut que ça s’arrête !

 

Le paraître et l’être… deux frères ennemis à ne jamais laisser comparaître ensemble ? On se « mélange » rarement sur sa tartine. On se fait une idée puis on la beurre ou on la « pâteàtartine ». Il n’y a plus qu’à inviter à la dégustation (au piège ?). On n’est rarement soi-même finalement. Comment l’être ? Tout mélanger sur une belle tranche de pain frais ? Quel goût pourrait avoir une telle mixture ? Bref, je cesse là cette indigeste « tartine » et je vous laisse à vos pots de confiture  😉

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ps : speciale dédicace à la mouche Ksé Ksé qui m’a piqué/branché sur le sujet

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