Désir d’histoires 53 et sa liste de mots imposés : pamplemousse – bonheur – insomnie – feu – artifice – mensonge – niais – pelouse – tarification – irremplaçable – vamp – tourbillon – pierre – choux – abside – mousse – choeur – douceur – désir – marmelade – trousser – perroquet – carrefour – bouquet – bas – lumière – désespoir – astragale – hologramme
Le feu crépite plus calmement maintenant. Les braises se laissent doucement ranimées par le vent, imperturbable, qui se faufile joyeusement entre les pierres. De toutes petites flammes naissent, semblant pouvoir réchauffer ces instants indéfiniment. Si seulement… Les bras « entressés » comme il s’est toujours plu à le dire, nous voilà, allongés dans l’herbe, l’un contre l’autre, ou plutôt moi confortablement installée contre son vaste corps, large voûte protectrice dans laquelle j’ai tellement aimé me réfugier, me blottir. Devinant ses muscles délicieusement dessinés, j’ai aimé ressentir le moindre tressautement dans son sommeil, mon corps contre le sien.
La scène est digne d’un de ces romans à l’eau de rose que j’affectionne particulièrement. Cernée par une végétation exubérante, la pelouse, sur laquelle nous avons choisi de terminer la soirée, armées de boissons fruitées et savamment alcoolisées, est d’une texture douce. Les parfums du jardin des plantes d’une rare variété tout à côté envahissent l’air se présentant puis se retirant au gré de la brise. Seul manque peut-être un perroquet pour parfaire ce décor exotique. Dans cet océan d’effluves dans lequel nous baignons, une délicieuse et discrète odeur de pamplemousse se fait plus présente cette fois. Me chatouillant les narines, je me noie dans cette senteur gourmande me rappelant cette marmelade qu’il apprécie tant. Mon coeur doucement se serre. La nuit déjà bien avancée se fait plus fraîche.
Sans artifice, en douceur, il a toujours su susciter en moi le désir ou plutôt les désirs. Tout d’abord, le désir de mieux le connaître, lui, ce géant qui n’avait des yeux que pour moi dès notre première rencontre. Ensuite, vint le désir de m’ouvrir, l’envie de faire à nouveau confiance à un homme. Puis, survint l’incroyable (pour moi) besoin de le séduire, de le faire mien. Pour parvenir à mes fins, je me mis en tête de le conquérir, singeant maladroitement la femme fatale. Investissant tant bien que mal mes maigres trésors de séduction dans cette entreprise. Je devins pour quelques temps une vamp, femme fatale certes mais fatalement maladroite et mal à l’aise. Heureusement, un soir enfin, il mit fin à mon stratagème plus que gênant de la plus belle des manières. Armé d’un magnifique bouquet aux couleurs pastels du printemps qui fleurissait alors de toute part, il adopta une posture médiane brandissant timidement son « arme » vers moi. La joute florale à laquelle il m’invitait fut de courte durée et tourna rapidement à son avantage. Toujours dans sa position d’attente, tacitement, il acceptait passivement la prochaine offensive adverse. Son coup suivant fut un coup de maître. Alors que je me saisissais de son poignet droit, il en fit de même avec son autre main restée libre. Maintenant alors une pression constante, il m’attira tout contre lui. Encore surprise par la force subtile qu’il exerçait, je fus littéralement figé par le langoureux et profond baiser que nous échangeâmes. Stupéfaite, le souffle coupé, les bras ballants, un petit rire niais m’échappa. Sans avoir trousser le moindre compliment, il venait de me transformer de fatale prédatrice en une proie facile. J’étais dans les choux et, à ce moment-là, heureuse de l’être. L’émotion qui me saisit alors fut si forte que j’en perdis l’équilibre. Décontenancé à son tour, il me laissa échapper. Coincé dans un tapis de mousse écorné qu’on avait négligemment laissé traîner là, mon pied refusa de suivre le mouvement. Une violente douleur me fit perdre, cette fois, connaissance. « Fracture du tubercule postéro-latérale de l’astragale » furent les premiers mots que nous partageâmes lorsque je repris mes esprits. Je devais cette très rare rupture à mon pied qui n’avait pas supporter la flexion plantaire que lui avait imposé notre envolée labiale.
Mon insomnie à la belle étoile laisse voguer mes pensées. Avec les astres en toile de fond, je laisse tourner le tourbillon des évènements récents qui me hantent déjà. Leurs hologrammes m’apparaissent, suspendus dans les ténèbres, désormais terrible et unique lumière de mon désespoir. Certes, nous avions déjà connu des bas dans notre histoire. Mais depuis l’annonce du terrible diagnostic tardif, nous n’avons connu que peu de moments de vrai bonheur. Ses énormes coups de fatigue, ses quintes de toux interminables, les douleurs dans la poitrine, ses crachats parfois sanglants, il a enduré les pires épreuves avant de se décider à rendre visite à ce spécialiste à la tarification exagérée. Identifié trop tardivement, caché par ce mensonge qu’il n’avait cessé de se répéter à lui-même, il décida de ne pas soigner son cancer. Il souhaitait vivre sans contraintes ou souffrances supplémentaires que celles qu’il avait déjà provoqué lui-même. Au dernier carrefour de sa vie, il me permit d’emprunter pour encore quelques temps cette même route que nous partagions depuis de nombreuses années. Pour cela, je dus faire cette terrible promesse, à l’issue extrême et définitive. Il me laissa une seule latitude : celle du choix du moment. Du premier baiser fleuri à notre dernière étreinte d’il y a quelques instants à peine, je chéris chacun de ces instants irremplaçables que nous avons vécu. Ces vacances en terres lointaines ont été une oasis de paix après ces derniers mois noirs. Le revoyant enfin sourire et peut-être heureux, j’ai alors décidé à le laisser partir enfin apaisé.
La subtile senteur de l’amande amère émanant du verre à cocktail que je lui avais préparé un peu plus tôt me parvient maintenant. Je suis encore tout contre lui. Je creuse encore une dernière fois ce corps à peine enlaidi par la maladie mais déjà quelque peu raidi et froid. Nos respirations ne reprendront plus jamais en choeur dans l’abside de nos ébats passionnés. Le vent soulève une mèche longue de mes cheveux, elle se mêle aux siens en bataille. Mon coeur amoché se resserre à nouveau, une première larme explose. Dans le feu dépérissant, la dernière petite flamme s’éteint….
Coincoins empoisonnés !
Ce texte n’est pas libre de droits.
Belle histoire d’amour.
Genre que je ne lis que peu, et le style s’en ressent je pense. Mais le plaisir de l’écrire était bien là 😀 merci pour ta visite m. le tueur à gages 😉
Coincoins stylés
oh c’est magnifique, c’est dur, oui, mais c’est joli. On lit les premiers temps de l’amour, avec les petites taquineries, le désir qui naît, …et cette fichue maladie qui vient y mettre un terme…et un dernier geste d’amour, mortel mais délivrant.
Merci, je suis content que cela te plaise. La route qui m’a mené au bout du texte était tortueuse. Je vais de ce pas en canard déguster ton écrit 🙂
Coincoins en marche
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Que c’est triste mais beau ! Une belle histoire que tu retraces avec pudeur et subtilité… Et le dernier geste d’amour devrait être légalisé… le coeur de pierre saigne toujours à ce que je vois. Je souhaite que le renouveau du printemps vienne souffler un peu de soleil et de joie sur cette si jolie mare ! 🙂
Beaucoup de choses oui sont présentes. Un exutoire fragile et compliqué pour moi mais chargé d’intensité personnelle… Le soleil sur cette Mare, c’est VOUS !
Coincoins créatifs !
Eh bien alors double bravo de prendre ta plume comme exutoire ! Cela ne peut que te faire du bien, je te le souhaite de tout ♥ en tout cas… 🙂
9a craint ! Suis au boulot, et je ne peux pas me permettre des larmes ! Ca va paraitre louche !
😀 prends garde oui… ou alors fais leur lire à eux aussi. 😉
Coincoins espiègles
Oh ben voilà, j’ai les larmes aux yeux maintenant !
Et ne dis pas que c’est mal écrit, c’est complètement faux !
Merci mais ce que j’ai exprimé au sujet du style est un ressenti sincère. Merci pour ton passage ! C’est toujours un plaisir !
Coincoins flattés
Je commence la lecture en souriant, en me disant que j’aurais aimé écrire ce texte… et je termine en larmes, en me disant que l’amour fait trop souffrir. Mais grand merci à toi pour ta belle plume… de canard… et d’écriture 😉
Vos larmes dans les commentaires ici me touchent. Les sujets effleurés ici par ces quelques lignes me tiennent vraiment à « coeur ». Merci pour tes mots !
Beaux coincoins !
C’est à une femme que tu fais dire tout ça ?…
D’accord aussi pour choisir « son départ ».
Pour le reste, c’est trop personnel, trop grave, trop triste, pour que j’ose une plaisanterie ou une réflexion.
Ton style ne nous pose, en tout cas, aucun problemo !
Bisous d’O
Oui c’est à une femme que je fais dire cela. Je ne comprends pas ta question. Est-ce un propos improbable ? malvenu ? Tu sembles te censurer. Je le regrette. Merci pour ton commentaire quoi qu’il en soit.
Coincoins sérieux donc ! 😉
J’oublie toujours de te dire que j’aime bien tes bannières qui changent tout l’temps !
C’est un compliment
J’étais juste un petit peu surprise que tu te mettes dans la peau d’une femme
C’est juste une constatation, ce n’est pas un reproche, et c’est fort bien écrit d’une main d’homme 🙂
Je me censure : woui, pour éviter tous débordements, trop personnels et confidentiels…
Et enfin, « ce texte n’est pas libre de droits » me surprend toujours un peu… de quoi as-tu peur ? comment peux-tu être assuré qu’on ne te le « piquera » pas ?…
Bonne semaine, cher Carnard d’eau
Wow ! Merci pour ce retour de commentaire et pour tes précisions. A la relecture mon propre commentaire peut paraître sec mais cela n’était absolument pas le cas.
J’ai déjà « essayé » de me mettre dans la peau d’une femme. En voici un exemple dans cette même Mare (avec en prologue un petit éclaircissement quant à comment je pourrais m’imaginer être une « femme » ;-)) : http://elcanardo.net/?p=194…
Je comprends ta discrétion et la respecte. Tes visites et commentaires seront bien sûr toujours les bienvenus.
Quant à la mention du bas d’article, je l’ai lu sur d’autres pages et je me suis dit que cela ne mangeait pas de pain. Donc acte ! 😉
Coincoins bras ouverts !
OK 🙂
Tu n’as pas écrit une histoire 54 ?…
Tout va bien dans ta mare, t’en as pas marre au moins, l’eau doit être gelée ?… faut faire fondre la glace 🙂
Bon week-end en bises engelées
Ton commentaire a croisé ma publication que je viens juste de faire. J’ai été quelque peu retardé par des petits soucis personnels 🙁 J’espère que tu pourras revenir la découvrir bientôt dans la Mare. Bises à couvert car cela glaglate sévèrement par ici 😉
Coincoins croisés
Un très beau texte. 😀 Comme il est difficile de laisser partir l’être aimé. 😀 Tu l’as si bien exprimé, que ça lasse sans voix. 😀
Tellement sans voix que tu as laissé un « i » dans ton dernier « laisse ». Merci pour ton commentaire solidaire.
Coincoins « avec » voix !
Coin…Coin… Coin enfin je souris pour mieux masquer l’émotion 😀
J’avais un doute, je me demandais si l’histoire écrite ici prolongeait celle de la semaine dernière et qu’il s’agitait encore de notre gentille GO 😛
Mais j’ai bien compris que non et qu’il est stupide de ma part de l’écrire.
Je me suis servi de l’écriture en pareil cas, ça aide à exorciser un certain nombre de choses.
A bientôt;
Ce n’était pas stupide comme idée en tout cas. Mais je ne souhaite pas torturer notre GO 😀 L’écriture est effectivement un bon moyen pour laisser « filer » quelques humeurs noires et tristes…
Exorcisme de coincoins
Que rajouter aux commentaires précédents ? C’est si triste que j’en reste sans voix !
Un deuxième commentaire aphone… Décidément 😉
Coincoins sonores !
C’est bien « Les histoires d’amour finissent mal en général » que chantait ce couple d’artistes uni et passionné finalement séparé par la maladie, non ? Elles sont d’autant plus belles et fortes car touchent notre coeur …
Je te souhaite cordialement un beau weekend !
Oui c’est vrai. Un duo que j’adorais et adore toujours d’ailleurs. Cela ne m’était pas venu à l’esprit… Merci pour ce rappel
Coincoins Mitsouko
Bel amour mais triste. Les Rita Mitsouko chantaient « Les histoires d’amour finissent mal en général »…
Oui ! C’est exactement à ce titre que nous faisions référence précédemment ! Merci pour ton passage ici ! 😀
Coincoins synchros !
Petite précision: je n’avais pas lu le commentaire de « The rose » avant de poster le mien. J’ai en quelque sorte répondu sans le vouloir – et sans le savoir – à la question…
haha.. no problemo… les grands esprits se rencontrent n’est-ce pas ?
Merci pour ta précision !
Coincoins au poil !
Je crois que Soène a tout comme moi pensé que peut-être à un moment donné, c’était toi qui parlait derrière cette femme.
Et si tel est le cas, alors, c’est un texte d’autant plus beau…
Coincoins sans couacs 😉
😉 Soène est repassée par là et je lui ai même répondu. Merci pour ton aide Mia. J’ai été surpris. J’ai bien essayé de me substituer à une femme. C’est ainsi que le texte m’est venu donc c’est ainsi que je l’ai exprimé. C’est bien moi qui parle à travers ce personnage. C’est une fiction bâtie sur mon vécu, mon ressenti et ma conviction sur le sujet… Muchas gracias !
Coincoins 0% couacs !
Du vécu et du ressenti, c’est bien ce que j’avais cru comprendre et c’est aussi pour cela que j’ai autant aimé ce texte en comparaison d’autres pourtant merveilleusement écrits mais peut-être moins « touchants » en ce sens qu’ils m’apparaissaient moins « personnels ».
Merci d’avoir confirmé ce que je pensais avoir compris. 🙂
😀 Étonnant comme ce texte a touché… et comme la plupart tente de le rapprocher à mon vécu. Je ne l’exclus pas, je ne me doutais pas que cela pouvait être ressenti aussi fortement. Merci Mia
Coincoins touchés
Je savais qu’il fallait que je revienne à la mare uniquement avec du temps. J’ai pu déguster le beau texte et les commentaires avec plaisir. J’admire cette facilité (apparente ?) avec laquelle tu t’appropries les mots imposés. Je ne les remarque même plus, même si j’essaye, l’histoire me prend bien avant que j’en trouve un !
Et tu seras toujours la bienvenue. J’espère que tu vas bien, que ta mission se déroule normalement et que tu te sens bien dans tes nouvelles « pages ».. Merci pour ton ressenti en tout cas. Cela me fait toujours autant plaisir de te lire ! A très bientôt !
Coincoins appropriés 😉
Magnifique… fluide, on est transporté dans cette belle histoire…
ho ho… des petites empreintes de chat dans ma Mare 😀 Quel plaisir de savoir que tu as rôdé par ici. Sois la bienvenue et à bientôt !
Coincoins palmés !
et pourtant, les chats n’aiment pas l’eau 🙂
Et pourtant… j’en connais un ou deux qui foncent dans la baignoire dès que tu ouvres la porte de la salle de bains 😉 Comme quoi…
Coincoins dans l’eau
C’est une forme de lyrisme aussi ton texte. Le chagrin d’amour est universel quelle que soit sa forme ou son origine donc je crois que ton texte peut toucher beaucoup de monde. Ce qui est sur c’est que tu es sincère dans tes mots…tu te caches à peine….
Sincérité ou habileté ? Je ne me permettrai pas de défaire ce mix à base de vécu ou de fantasme que j’ai réalisé. A chacun son interprétation ! Merci pour ton passage ! 😉
Coincoins bal masqué !
J’aurais juré avoir déjà commenté ce texte, je revenais lire la réponse éventuelle, mais non. J’ai rêvé peut être.
Je trouve que c’est un bel exercice d’écrire en se mettant à la place de l’autre.
Une belle réussite ce texte.
Mais quand même, le cyanure, c’est drôlement douloureux comme mort.
Oui le cyanure est une mort qui peut paraître bien douloureuse. Mais celle-ci est consentie par la victime. Merci pour ton gentil commentaire. Je ne fais que m’amuser en écrivant, et le partager est vraiment un plaisir supplémentaire !
Coincoins senteur amande 😉