Le temps glacial a rebuté les derniers candidats à une visite romantique de cette magnifique ville romaine qu’est Trier (Trêves). Les lumières tamisées jalonnent mon parcours. La neige fondue a cessé de tomber et donc de me gifler. Une fois la Porta Nigra franchie, mes pas me mènent au pied d’un immense bâtiment tout récemment rénové. La grille d’accès au patio central est entrouverte, je m’y glisse, restant fidèle à mon précepte « si c’est ouvert, c’est permis » 😉
Le jardin central a été remplacé. Désormais, un dallage grossier couleur sable recouvre entièrement toute la surface. Attristant. Le corridor, lui, est resté le même. Les plantes grimpantes ont été épargnées du massacre central. La face hivernale et nocturne qu’offre l’endroit est lugubre…mais paisible. Dans le silence sombre, un petit chuchotement régulier persiste. Parfois, il cesse…puis reprend. De petits tapotements rapides… et de temps en temps, comme un glissement. Je suis tout proche maintenant. Là, en bordure du corridor, sous une arche aux allures authentiques, un petit bonhomme, barbu, l’air appliqué, arqué, travaille patiemment, discrètement, inexorablement. Il perçoit ma présence, ne tourne presque pas la tête. Il concède à mon attention un léger clignement de son oeil droit que je devine pétillant.
Et là, sous ses mains, une magnifique sculpture glacée est en train de prendre forme. Je décide de rester quelques instants et d’assister à cette création naissante. Le vieil homme poursuit, ne s’interrompant jamais plus que quelques secondes. Il ne la contemple pas. Il se contente de la parcourir de ses mains. Il la parcourt. Il la chérit. Ce contact, aux connotations presque érotiques, le(me) fascine, nous fascine. Il la sent. Les formes saillantes de son oeuvre sont désormais très explicites. C’est une femme nue, au look cartoon indéniable et aux formes généreuses, les pieds prisonniers dans la glace. Ses seins ronds sont magnifiques, sa chevelure aérienne, ses hanches idéales, sa face anonyme. En ses pieds, une lumière jaune traverse le bloc gelé et baigne l’oeuvre des pieds à la tête. Rien d’autre ne parasite la scène sinon une nuance bleutée issue d’une « défigurante » enseigne voisine. Autour, l’obscurité est presque totale. Seule source de lumière, la dame de glace semble jaillir de nulle part, je m’attends à ce qu’elle prenne parole.
Il est patient, il fignole. Ne s’attarde que très peu, ses gestes restent rapides et sont de plus en plus précis. Lui, le géniteur, ne s’embarrasse d’aucune fioriture verbale. Il ne tente pas de me séduire en m’expliquant son oeuvre dénudée. Il sait, il sent que je suis moi aussi (é)pris, fasciné par cette improbable éclosion. Il me laisse à mon émoi et à mon excitation. Il balaie lentement les quelques restes de glace. Il achève son travail en nettoyant les alentours et en rangeant consciencieusement ses outils. Cette fois, il me sourit de face, satisfait de son travail et de l’émotion qu’il suscite grâce sa création prisonnière et éphémère. Au delà de l’acte, l’échange est profond. Du ressenti, de la chair de poule (peu banal pour un canard, n’est-ce pas ?).
Je vais bientôt quitter le lieu. Sans vraiment savoir pourquoi, je suis triste. Je sais que cet amour temporaire se meurt déjà, il fond le long de ses formes si avenantes, l’eau coule. Le froid n’est en fait que ressenti, la température positive est impitoyable avec ma femme esquimau glacée. Je m’éloigne maintenant, doucement, légèrement courbé, résigné… Tout n’est qu’éphémère me dis-je. Je ne parviens pas à trouver ce qui pourrait être permanent en cette terre. Rien ne me vient. Rien n’est éternel, même pas moi.
Coincoins sculptés
Ce texte n’est pas libre de droits. La photo non plus
Un très beau billet pas du tout glacé et encore moins glaçant !
Curieusement, je crois que c’est justement parce que j’ai conscience que tout est éphémère que les choses et les gens ont tant de valeur pour moi.
Sans ce caractère de mouvance perpétuelle, ne serais-je pas aussi tentée par la procrastination ?
Le plaisir quand on partage un billet de la sorte est de susciter vos très belles réactions. Vous allez au delà même de la réflexion originale. Et toi, Mia, tu fais mouche. Ta question en fin de commentaire est une vraie direction, un phare dans le labyrinthe de notre existence.
Coincoins admiratifs et attachés !
Tu as décidément le don de me faire rougir toi 🙂
wow… Le « gentleduck » que je suis en navré, il paraît que ce n’est pas bien de mettre mal à l’aise autrui. Je ne faisais que livrer ma pensée.
Coincoins rouges de confusion
Belle illustration de l’impermanence du monde et de la nécessité de profiter du moment présent. Je suis d’accord avec Mia, le côté ephémère de la vie lui donne sa valeur…
Beauté, poésie, coup de foudre glacé … une jolie rencontre que tu as fait là!
Oui et comme je le dis déjà à Mia ci-dessus, vos commentaires me touchent vraiment. Vous êtes d’une pertinence telle que mon propos en est amélioré. Merci pour tes « beaux » mots en ce lieu.
Coincoins perpétuels !
Le sculpteur de cette femme glacée à un très beau et chouette talent !
Le photographe également 😉
Et j’adore ton talent pour l’écriture, j’ai beaucoup eu de plaisir à lire ce billet, chapeau bas Mr Coincoin, vraiment ! (qu’une seule envie, celle de te lire encore même pour un instant éphémère !)
wow… C’est Noël avant l’heure en la Mare ! Que de compliments qui sont tout autant de cadeaux ! Mes plumes en sont toutes rouges de plaisir mais de gêne aussi. « Talent » est quelque peu exagéré mais je dois reconnaître que j’ai drôlement apprécié qu’il me soit adressé (un grand « Oh » de surprise sur la bouche en te lisant). Mais la beauté et le talent étaient plutôt en ces instants que j’ai tenté de décrire ici et je n’en ai communiqué qu’une bien modeste partie.
Coincoins déglacés !
Je viens de réaliser pourquoi il est préférable parfois de garder ses distances et de ne pas chercher à briser la glace. En se montrant trop proche et chaleureux, ça peut provoquer des dégâts.
De Mia à toi, on passe de pourquoi la briser à pourquoi s’en garder de le faire… Et si on en faisait un cycle… des fois oui des fois non.. La glace peut brûler et/ou conserver non ? 😉
Coincoins aux antipodes du raisonnement
Ah, j’aime bien la couleur de ce blog !!!!
Merci ! Quel plaisir de te le lire ici ! Bienvenue !
Coincoins noirs !
L’éternité c’est la mort, vive l’éphémère !
coincoins matinaux
🙂 des coincoins matinaux plus que bienvenus. Ephémères certes mais au combien salutaires 😀
coincoins en retour !
comme tu as bien décrit cette scène magique ! et quelle émotion
se dégage de ton billet ! l’instant présent, le temps d’une
sculpture, s’arrêter et déguster ce moment-là ! l’éphémère et le dérisoire
c’est aussi ça le bonheur ! s’il n’y a plus le dérisoire, il n’y a plus rien !
bonne journée de canard ! ils n’ont jamais froid les canards ! et toi ???
Ben je suis fidèle à la réputation des canards. Froid moi ? Jamais 😉 Enfin presque ! Merci pour tes mots ! J’y retrouve toute l’émotion que tu partages sur ton sublime blog. Honoré par ta visite !
Coincoins de révérence 😀
Heureusement pour faire perdurer l’éphémère il y a les souvenirs…Enfin, c’est à double tranchant…
En tous les cas très très beau billet…
Les souvenirs… oui… Le danger, c’est d’ouvrir la porte alors aux regrets… aux « et si je…? »… aux « et si l’autre …? » … Prudence alors. Avis de tempête(s) sur la Mare sinon…
Coincoins permanents !